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de le faire boire en ce temps qui eft celuy où les Valets ont le moins de peinc, & leur reserver le Vin pour l'Eté; cela dépend au reste des clauses dont on eft convenu avec eux fur cet article.

Il faut du gros Vin pour les Ouvriers ; les Vins clairets & blancs paffent trop vîte, cela ne leur gratte pas affez le gofier, & ne les foutient pas fi bien; ils font à moitié contents quand ils voyent un vin d'une couleur d'un rouge foncé, & ne fuffe que de la piquette, cela fuffit pour les empêcher de murmurer.

Celuy auquel la Cave eft commife, doit avoir foin de la tenir nette, & que les vaiffeaux d'où on a tiré le vin, ne fe moififfent point: une Cave négligée ainsi qu'un vaiffeau fouvent s'enpuantit, & l'on ne peut plus s'en fervir que le vin ne s'y gâte : il eft donc du ménage d'y veiller; de tenir pour cela les foûpiraux de la cave fermez & ouverts dans le befoin, & de garantir les futailles de la mauvaise odeur, afin de pouvoir s'en fervir une autre année. L'oeil du Maître ou de la Maîtreffe eft capable de bien conduire tout cela, pour peu qu'il veuille ne s'y pas endormir.

Dans les lieux où le vin eft rare, comme en Normandie, on aura fa Cidre, Po provifion de Cidre, de Pommé ou de Poiré, ces deux dernieres boiffons mé Poiré.. peuvent être communes ailleurs que chez les Normands, & l'on en fait effectivement en bien des endroits, & qui y tiennent même lieu de vin pour l'ordinaire des Valets: il y a encore le Cormé qu'on boit au lieu d'eau & Cormé.. la Bierre dont on fe paffe tres bien au defaut de vin; toutes ces provifions font admirables & d'un tres grand fecours dans un ménage: nous dirons dans leur lieu la maniere de faire chacune de ces liqueurs qu'on destine, tant pour la bouche du Maître que pour celle des Valets.

Bierre..

L'Eau de Vie eft encore neceffaire dans une maison de Campagne; on Eau de vie.. l'y employe à plufieurs ufages dont nous parlerons, & le Vinaigre n'y Vinaigre. a pas moins fon utilité: il faut donc être pourvû de toutes ces provifions, pour n'être pas obligez d'en aller chercher chez fes voifins lorfqu'on en à befoin & pour en avoir qui coûtent peu, & qui foient meilleures que celles qui fe vendent chez les Marchands. On donnera la maniere de les faire paffons de ces liqueurs aux Chairs dont il eft bon qu'une maison foit munie.

Nous ne parlerons point ni des viandes de boucherie qui fe mangent fraîches; mais de celles qui fe gardent & qui font comme un fecours fort confiderable pour la nourriture tant du Maître que des Domestiques.

Les Porcs, les Chévres, les Boeufs, les Vaches & les Oyes font les animaux qui fourniffent le plus de quoy avoir des viandes de garde; on ne the point de ces bétes qu'elles ne foient graffes, & c'eft ordinairement en Hyver que cela arrive, où les chairs alors prennent bien fel, au lieu qu'en Eté elles ne fe falent que difficilement, outre qu'il eft dangcreux. qu'elles ne fe corrompent.

Provifions de Chairs differentes.

les

LES Es Chévres font les premieres qu'on facrifie pour le ménage, les Boucs Chévress n'en font point exceptez ; mais il faut qu'ils foient châtrez : ils doi

M.

Porcs.

vent l'un & l'autre être gras, & ceft pour l'ordinaire au commencement de l'Automne qu'on les tuë, afin de tirer du profit de leurs peaux qui ne vaudroient que tres peu de chofe en Hyver.

Ces animaux ne font pas plûtôt tuez & deshabillez qu'on les dépece par morceaux pour en faler la chair le plus chaudement qu'il eft poffible, parce que quand elle eft réfroidie, elle n'en prend pas fel fi facilement. Il faut foigner d'en féparer la graiffe qu'on employe pour faire de la chan

delle.

Pour leurs peaux on les étend auffi-tôt dans un lieu fec & aëré, qui soit neanmoins à couvert du Soleil & hors de la portée des chiens, des chats, & des rats qui les endommageroient. Si l'on veut les rendre d'une belle vente, il faut en les étendant, les tenir élargies & ouvertes le longs de petits bâtons qu'on y attache, & par ce moyen elles ne fe retirent point.

La chair de Chévre ou de Bouc n'eft pas bien excellente, on n'en fert gueres fur la table du Maître, ce n'eft que pour les Valets, qui n'ayant pas le goût fi délicat s'accommodent affez bien de tous mets, pourvû qu'ils en ayent fuffifamment le ventre remply.

Les Porcs ont la chair meilleure & plus profitable; on tuë d'abord ceux qui font les plus gras, pour laiffer engraiffer les autres ; ce font de petits Porcs alors qu'on égorge, & dont on nourrit la maison, avec les dépouilles, qu'on fait aller le plus loin qu'on peut avec la viande, & jufqu'à ce qu'on en tue de plus gros & de plus gras autant qu'on juge en avoir à faire pour la provifion du Ménage.

Quand un Porc eft égorgé on l'étend le ventre deffous, & les quatre pieds écartez fur trois bûches & en travers écartées l'une de l'autre d'un bon pied, on le couvre de grande paille, puis on y met le feu pour en brûler la foye.

Cela fait, & lorfqu'on voit que cette foye eft bien brûlée par tout, on en ratiffe proprement la peau avec des coûteaux, dont le tranchant foit en partie émouffé; car s'ils étoient trop affilez ils écorcheroient la peau du Cochon ; on foigne donc de bien ratifler toutes les parties du corps de ce

Porc.

Il y en a aprés qu'ils font brûlez, qui au lieu d'en ratiffer la peau avec des couteaux,prennent de l'eau fraîche bien claire & bien nette, la jettent pardeffus, & avec des tuilleaux ratiffent cette peau à force de bras. Cette derniere façon à la verité en rend la peau plus blanche, mais on tient qu'elle diminue le relief de la viande ; d'autres les échaudent, & les pellent comme on fait un cochon de lait, cette maniere eft trop penible, & ne nettoïe pas fi bien un cochon de fes foyes que les deux précedentes: on choifira neanmoins celle qu'on voudra, ou plûtôt on fuivra en cela l'usage du pays.

Le Porc étant nettoyé, comme on vient de dire, on l'ouvre les uns par le ventre & les autres par le dos en levant l'échinée depuis la tête jufqu'à la queue qui y tient; cela fait on ôte toutes les entrailles du corps qu'on défait tout doucement, & qu'on fépare les unes des autres; c'estˆà dire, les boyaux des freffures, les freffures du mou, ainfi du refte, pour en faire aprés les mets aufquels toutes ces parties font destinées. Le fang & les boyaux font refervez pour les boudins, les andouilles &

les fauciffes; nous dirons a l'article de la Cuifine, comme on y réüffit. A la difference des Chèvres il faut laiffer réfroidir le Porc avant que de fe mettre en état de le faler, & le foir ou le lendemain matin qu'il eft effuyé de fon trop d'humidité, on le coupe par pieces, les jambes, les oreilles, les langues & les échinées, tout s'employe, rien ne fe perd; le lard qui eft le principal, eft falé pour être confervé toute l'année, & s'en fervir dans le befoin.

Pour bien réüffir à faler un Porc, il faut aprés qu'il a été mis par gros morceaux, commencer par mettre les pieces de lard au fond du Saloir : nous dirons quelque chofe de ce vaiffeau aprés cet article, en obfervant d'abord de repardre un lit de fel fur le bois, puis un autre fur le lard, & continuer ainsi alternativement jufqu'à ce que toute la chair y foit entaffée l'une fur l'autre. Les jambons fe placent aprés le lard, puis les groffes pieces les plus charnuës, & enfuite celles qui ont le plus d'os, telles font la tête qu'on laiffe entiere, ou qu'on fépare en deux ou trois parties, felon qu'on le juge à propos, les pieds & les échinées qui font prefque tout deffus, parce qu'on a coûtume de les manger les premiers.

On a déja dit qu'il falloit entaffer le plus qu'il étoit poffible les pieces de chair les unes für les autres; on le repete encore, parce que plus elles font preffées, moins elles font fufceptibles d'évent. On ne doit point y épargner le fel, on doit y en mettre plûtôt plus que moins, le lard & la chair de Porc qui n'eft falée que moderément, eft fujete à jaunir, à s'éventer & à fentir un mauvais goût.

Mais avant que de paffer outre, parlons un peu du Saloir; ce vaiffeau eft Saloir. fait de main de Tonellier, relié de bons cercles, rond comme une futaille, & plus étroit d'ouverture que par le bas ; on n'en détermine point icy les grandeurs, on les fait bâtir d'une capacité affez grande pour contenir ce qu'on y veut mettre de chair de cochon; car quelquefois on en met deux dans un même Saloir.

Ce Saloir doit être d'un bon bois de chêne & pareil à celuy dont on fabrique les vaiffeaux propres à mettre du vin; on prendra garde qu'il n'y ait point d'Aubier, que ce ne foit point un bois gâté, parce qu'il ne faudroit que cela pour corrompre tout le falé, & crainte que la faumûre ne fe perde,on fait fondre de la poix noire fur le dehors du fond & tout au tour du jable environ l'épaiffeur d'un écu, & de la largeur de deux doigts..

On peut fe fervir pour faire un Saloir d'une vieille futaille où il y aura eu du vin, & qu'on n'aura pas laiffé moifir: c'eft un bois tout éprouvé, & qui n'en vaut que mieux pour contenir de la chair falée. Ce Saloir aun couvercle tout rond qui s'enclave dans deux oreilles qui excedent au deffus de la hauteur, & à travers defquelles on paffe une tringle de fer dans une des deux extremitez, aprés qu'elle eft paffée eft munie d'un cadenat, qu'on tient fermé à clef pour ne pas laiffer le falé en proye à le discretion des Domef tiques.

Pour donner un bon goût au falé, il faut prendre des herbes aromatiques, comme thim, fauge, lavande & autres, les bien faire bouillir dans de l'eau; enfuite bien laver le Saloir avec cette eau, & le laiffer fecher; aprés cela on prend deux muscades, on les rape, étant rapées, on fait rougir une bri

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que qu'on met dans le Saloir fur une autre brique ou autre chofe qui empêche qu'elle ne brûle le Saloir; cela fait on répand la mufcade pardeflus, puis on bouche bien le Saloir, de maniere que la fumée qu'exhale cette mufcade, ne s'évapore que le moins qu'il eft poffible.

Il faut laiffer le Saloir bouché jufqu'à ce qu'on juge que toute la mufcade foit brûlée entierement, aprés cela on l'ouvre pour le remplir inceffamment de la viande qui lui eft destinée; on ne fçauroit dire combien cette fumigation contribue à la bonté du fale; les parties volatiles de cette mufcade, qui par leur mouvement fe nichent dans les pores du bois, le rendent excellent par ce qu'il en contracte: ce fecret n'eft rien de luy-même, & merite neanmoins qu'on y faffe attention, fi l'on veut avoir du falé de bon goût.

Il y en a qui falent autrement leurs cochons; ils ont une grande table affez large environnée tout au tour de bords de la hauteur de quatre doigts, ils prennent leurs pieces de chair l'une aprés l'autre, & avec du fel un peu chaud qu'ils ont dans la main, il les frotte, de maniere qu'il n'y a pas un petit endroit qui n'en foit atteint à mesure qu'on fale ainfi le lard & les autres pieces, on les entaffe tout du long de la table les unes fur les autres, lit par lit. On laisse ainfi cette chair prendre fel pendant huit jours, aprés lefquels on la dérange toute, obfervant de mettre deffus les pieces qui étoient deffous, & de bien frotter encore de fel les endroits qui paroiffent les plus fufpects, crainte qu'ils ne fe corrompent; on recommence cette manœuvre de huit jours en huit jours, & jufqu'à ce qu'on voye le lard avoir une couleur claire que lui donne le fel, & qui eft la marque qu'il en a pris fuffifamment pour pouvoir fe conferver. C'eft ainfi qu'en agiffent les Chaircuitiers de Paris; mais cette maxime n'eft bonne que pour du falé dont on veut avoir un prompt débit & non pour le ménage, à moins que ce ne foit dans les pays où l'on fait fecher le falé à la cheminée.

Dans ceux s'obferve cette maniere de faler le cochon, & lors qu'on voit que la chair a fuffifamment pris fel, on la leve piece par piece, qu'on bat avec un bâton l'un aprés l'autre pour faire tomber le fel fuperflu, puis on attache ces pieces à un ratelier deftiné pour cela, & qui eft placé dans un endroit fait exprés. Le falé s'y garde fans danger & jufqu'à ce qu'on veuille s'en fervir, mais il y a bien à dire qu'il ait fi bon goût que pre

mier.

le

D'autres fuivent une autre méthode. Après avoir ôté toute la menuifaille du cochon & levé les jambons, les épaules, la tête & autres pieces de cette forte, qu'on a coûtume de féparer du refte du corps, ils fendent tous le lard en deux & falent ces deux moitiez entieres, y faifant penetrer le fel avec un rouleau qu'ils paffent rudement par deffus ; ce travail fe fait à deux ou trois reprifes, & de deux jours en deux jours, puis ils le pendent au plancher. Cette chair ainfi falée ne fe garde pas long-temps, il vaut micux s'attacher à la premiere méthode, c'eft la meilleure & la plus fùre.

Il faut obferver que dans les pays où l'on fe fert de fel blanc, fe falé ne yeut pas tant féjourner dans le Saloir, qu'où le fel ordinaire est en usage, fix Semaines fuffifent pour luy bien faire prendre fel, & aprés ce temps il faut le lever pour le mettre au plancher, attaché à des perches ou à des cro

chets, autrement il prendroit le goût de rance & s'empuantiroit.

Le Sain-doux qu'on tire de la graiffe de cochon, eft encore une bonne pro- Sain-doux. vision pour l'aprêt de plufieurs mets & autres ufages du ménage : on le conferve proprement dans des pots verniffez aprés qu'il eft fondu; ce Sain-doux fe garde long-temps; pour la graiffe entiere du cochon, fi l'on veut la vendre pour faire du vieux-oing, on la met auffi dans des pots où on la fale, afin qu'elle fe garde plus long-temps, on fait un débit de cette graiffe dont nous parlerons dans le Traité du Commerce général des Danrées. Le lieu cù l'on met les chairs pour garder ne doit être ny trop humide,ny trop fec; l'humidité les rend rances, & le trop grand air leur fait acquerir l'évent, deux qualitez tres-mauvaifes pour quelque chair que ce puiffe étre, & qui la rendent tres-défagreable au goût.

Crainte que le lard ne jauniffe, & ne fente le rance, il y en a qui le mettent parfumer à la cheminée pendant huit ou dix jours, il eft conftant que cela ôte l'humidité qui pourroit y refter, & qu'il s'en garde bien plus long-temps: on en fait autant aux jambons qu'on veut conferver.

Et comme une bonne ménagere ne doit jamais rien perdre de ce qui Saumûre. peut contribuer au profit de la maifon, elle aura foin, aprés que toute la chair eft hors du Saloir, d'en ramaffer toute la faumûre pour s'en fervir au befoin; elle eft plus propre à employer, & plus ragoutante en la maniere qui fuit.

On prend un chaudron plus ou moins grand, felon qu'on a de faumûre à épurer, on la met dedans, puis fur un feu clair, foignant de la bien écumer à mesure qu'elle bouillonne, jufqu'à ce que cette faunûre devienne claire comme de l'huile de noix, & pour éprouver fi elle a acquis fa cuiffon parfaite, on met un oeuf crud deffus, & s'il flotte, c'en eft la veritable

marque.

Quand cette faumûre eft cuite comme il faut, on s'en fert fi l'on veut pour faler d'autres chairs qui y prendront tres-bien fel, mais on doit avoir foin quatre jours aprés qu'elles ont été ainfi falées, de les vifiter, & de voir fi elles ne moififfent point à caufe de l'humidité de ces chairs qui pourroient avoir décuit la faumûre, & émouffer par là toute l'acrimonie dont le fel auroit befoin pour les conferver: fi cela étoit, il faudroit revider la faumûre dans le chauderon, lui donner un bouillon ou deux, puis la verfer par deffus les chairs. On peut recuire ainfi la faumûre jufqu'à deux fois ; & fi l'on voit qu'il n'y en ait plus affez pour faire tremper les chairs à l'aife, on y ajoûtera du fel nouveau. Cette faumúre eft encore d'ufage pour faler les ragouts ou les potages qu'on fait pour les Domestiques: le goût ne leur en parroît point défagreable, & c'eft un profit tout clair pour épargner le fel.

Souvent quand on a tué les gros Cochons pour le lard, on en égorge d'autres qui font plus jeunes & moins gras, & c'eft ordinairement un peu devant le Carême que cela fe pratique ; ce falé qui eft entrelardé, eft merveilleux, il va loin dans l'été, & eft d'un grand fecours pour la table tant du Maître que des Valets.

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