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La Penfion attachée à fa Place du Jardin Royal étoit fort modique, cependant l'amour de fon pays luy fit refufer des offres & fi utiles & fi flateufes. Il s'y joignit encore une autre raison qu'il difoit à fes amis, c'eft qu'il trouvoit que les Sciences étoient icy pour le moins à un auffi haut degré de perfection, qu'en aucun autre pays. La Patrie d'un Savant ne feroit pas fa િ veritable Patrie, fi les Sciences n'y étoient florif fantes.

La fienne ne fut pas ingrate. L'Academie des Sciences ayant été mife en 1691. fous l'infpection de M. l'Abbé Bignon, un des premiers ufages qu'il fit de fon autorité deux mois aprés qu'il en fût reveftu, fut de faire entrer dans cette Com pagnie M. de Tournefort & M. Homberg, qu'il ne connoiffoit ni l'un ni l'autre que par le nom qu'ils s'étoient fait. Aprés qu'ils eurent été agréez par le Roy fur fon temoignage, il les prefenta Tous deux enfemble à l'Academie, deux premiers nez, pour ainsi dire, dignes de l'être d'un tel Pere, & d'annoncer toute la famille fpirituelle qui les a fuivis.

En 1694. parut le premier Ouvrage de M. de Tournefort, intitulé Elemens de Botanique, on Methode pour connoiftre les Plantes, imprimé au Louvre en trois volumes. Il eft fait pour mettre de l'ordre dans ce nombre prodigieux de Plantes. femées fi confufement fur la Terre, & mefme fous les eaux de la Mer, & pour les diftribuer en Genres & en Efpeces, qui en facilitent la connoiffance, & empefchent que la memoire des Botaniftes ne foit accablée fous le poids d'une infinité de noms differens, Cet ordre fi neceffaire

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n'a point été établi par la Nature, qui a préferé une confufion magnifique à la commodité des Phificiens. Et c'eft à eux à mettre prefque malgré elle de l'arrangement & un fyfteme dans les Plantes. Puifque ce ne peut être qu'un ouvrage de leur efprit, il eft aifé de prévoir qu'ils partageront, & que mefme quelques-uns ne voudront point de fyfteme. Celuy que M. de Tournefort a préferé aprés une longue & favante difcuffion, confifte à regler les Genres des Plantes par les Fleurs & par les Fruits pris ensemble, c'est à dire, que toutes les Plantes femblables par ces deux parties feront du mefme genre, aprés quoy les differences ou de la Racine; ou de la Tige, ou des Feuilles, feront leurs differentes efpeces. M. de Tournefort a été mefme plus loin; au deffus des Genres il a mis des Claffes qui ne fe reglent que par les Fleurs, & il eft le premier qui ait eû cette pensée, beaucoup plus utile à la Botanique, qu'on ne fe l'imagineroit d'abord, Ca il ne fe trouve jufqu'icy que 14. figures differentes de Fleurs qu'il faille s'imprimer dans la memoire; ainfi quand on a entre les mains une Plante en fleur dont on ignore le nom, on voit auffi-tôt à quelle Claffe elle appartient dans le Livre des Elemens de Botanique, quelques jours aprés la fleur paroît le fruit, qui détermine le Genre dans ce mefme Livre, & les autres parties donnent l'Efpece, deforte que l'on trouve en un moment, & le nom que M. de Tournefort luy donne par rapport à fon fyfteme, & ceux que d'autres Botanistes des plus fameux luy ont donnez, ou par rapport à leurs fyftemes particuliers, ou fans aucun fyfteme. Par.là on eft en état d'é

tudier cette Plante dans les Auteurs qui en ont parlé, fans craindre de luy attribuer ce qu'ils auront dit d'une autre, ou d'attribuer à une autre ce qu'ils auront dit de celle-là. C'est un prodigieux foulagement pour la memoire, que tout fe réduife à retenir 14. figures de Fleurs, par le moyen defquelles on descend à 673. Genres, qui comprennent fous eux 8846. Efpeces de Plantes, foit de Terre, foit de mer, connuës jufqu'au temps de ce Livre. Que feroit-ce s'il falloit connoiftre immediatement ces 8846. Efpeces, & cela fous tous les noms differens qu'il a plû aux Botaniftes de leur impofer? Ce que nous venons de dire icy demanderoit encore quelques restrictions ou quelques éclairciffemens, mais nous les avons donnez dans l'Hiftoire de 1700. où le fifteme de M. de Tournefort a été traité plus à fond & avec plus d'étenduë.

11 parut être fort approuvé des Phificiens, c'est à dire (& cela ne doit jamais s'entendre autrement) du plus grand nombre des Phificiens. Il fut attaqué fur quelques points par M. Rai, celebre Botaniste & Phificien Anglois, auquel M. de Tournefort répondit en 1697. par une Differtation Latine adreffée à M. Sherard, autre Anglois, habile dans la même science. La difpute fut fans aigreur, & même affez polie de part & d'autre, ce qui eft affez à remarquer. On dira peut-être que le fujet ne valoit gueres la peine qu'on s'échauffât; car dequoi s'agiffoit-il ? De favoir files fleurs & les fruits fuffifoient pour établir les Genres, fi une certaine Plante étoit d'un Genre ou d'un autre. Mais on doit tenir compte aux hommes, & plus particulierement aux fa

vans, de ne s'échauffer pas beaucoup fur de legers fujets. M. de Tournefort dans un Ouvrage pofterieur à la difpute, a donné de grands éloges à M. Rai, & mefme fur fon Sisteme des Plantes.

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Il fe fit recevoir Docteur en Medecine de la Faculté de Paris, & en 1698. il publia un Livre intitulé Hiftoire des Plantes qui naiffent aux environs de Paris, avec leur ufage dans la Medecine. Il eft facile de juger que celuy qui avoit été chercher des Plantes fur les fommets des Alpes & des Pirenées, avoit diligemment herborisé dans tous les environs de Paris, depuis qu'il y faifoit fon fejour. La Botanique ne feroit qu'une fimple curiofité, fi elle ne fe rapportoit à la Medecine & quand on veut qu'elle foit utile, c'est la Botanique de fon Pays qu'on doit le plus étudier, non que la Nature ait été auffi foigneufe qu'on le dit quelquefois, de mettre dans chaque Pays les Plantes qui devoient convenir aux maladies des Habitans, mais parce qu'il eft plus commode d'employer ce qu'on a fous fa main, & que fouvent ce qui vient de loin, n'en vaut pas mieux. Dans cette Hiftoire des Plantes des environs de Paris, M. de Tournefort raffemble outre leurs differens noms & leurs defcriptions, les Analifes Chimiques que l'Academie en avoit faites, & leurs vertus les mieux prouvées. Ce Livre feul répondroit fuffisamment au reproche que l'on fait quelquefois aux Medecins, de n'aimer pas les Remedes tirez des Simples, parce qu'ils font trop faciles, & d'un effet trop prompt. Certainement M. de Tournefort en produit icy un grand nombre, cependant ils font la plufpart affez negligez, & il femble qu'une certaine fatalité ordonne qu'on

les defirera beaucoup & qu'on s'en fervira peu.

On peut compter parmi les Ouvrages de M. de Tournefort un Livre, ou du moins une partie d'un Livre, qu'il n'a pourtant pas fait imprimer. Il porte pour titre Schola Botanica, five Catalogus Plantarum, quas ab aliquot annis in Horto Regio Parifienfi ftudiofis indigitavit vir clarissimus Jofephus Pitton de Tournefort, Doctor Medicus, ut & Pauli Hermanni Paradifi Batavi Prodromus, &c. Amftelodami 1699. Un Anglois nommé M. Simon Warton, qui avoit étudié trois ans en Botanique au Jardin du Roy fous M. de Tournefort, fit ce Catalogue des Plantes qu'il y avoit veües.

Comme les Elemens de Botanique avoient eû tout le fuccés que l'Auteur mefme pouvoit defirer, il en donna en 1700. une Traduction Latine en faveur des Etrangers, & plus ample, fous le titre de Inftitutiones Rei Herbaria, en trois Volumes in 4°. dont le premier contient les noms des Plantes diftribuées felon le fifteme de l'Auteur, & les deux autres leurs figures tres bien gravées. A la tefte de cette Traduction eft une grande Preface ou introduction à la Botanique, qui contient avec les principes du fifteme de M. de Tournefort, ingenieufement & folidement établis une Histoire de la Botanique & des Botaniftes, recueillie avec beaucoup de foin & agréablement écrite. On n'aura pas de peine à s'imaginer qu'il s'occupoit avec plaifir de tout ce qui avoit rapport à l'objet de fon amour.

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Cet amour cependant n'étoit pas fi fidelle aux Plantes, qu'il ne fe portât prefque avec la mesme ardeur à toutes les autres curiofitez de la Phifique,

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