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ENTRETIENS

D'UN DOCTEUR,

AVEC

UN BIBLIOTHECAIRE,

Au fujet des Ouvrages

DE M. BAYLE.

PREMIER ENTRETIEN.

Le Docteur.

Q

Ue faites-vous-là ? Vous tirez ce rideau bien brusquement. Le Bibliothécaire. Eh! bon jour, Monfieur. Il y a long-tems qu'on ne vous a vu. Comment vous portez-vous?

Le Docteur. Fort bien. Mais ce n'est pas de quoi il s'agit. D'où vient votre empressement à fermer cette Tablette?

Le Biblioth. C'est une idée subite, dont je ne sçaurois vous rendre raison.

Le Docteur. Cette réponse équivoque pique davantage ma curiofité. Il y a là fans doute de la contrebande, que vous n'aimez pas à laiffer voir.

A

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1747

Le Biblioth. De la contrebande ici, Mon fieur? Il y a fi long-tems que j'ai l'honneur de vous être connu. Vous ai-je jamais paru homme à inférer indifféremment le bon & le mauvais dans la Bibliothéque dont j'ai foin?

Le Docteur. Il eft vrai; je vous ai toujours connu fort exact fur ce point. Mais encore; vous m'avez paru embarraffé au moment de mon arrivée. Vous avez tiré bien vîte ce rideau. Il faut qu'il y ait là un Livre, que vous craignez que je ne voie. De grace, expliquez-vous fans biaifer; ou je ferai tenté de faire certaines démarches pour découvrir le myftere.

طور

Le Biblioth. Ne vous en donnez pas la peine. Je vais vous dire ingénuement ce que c'eft. J'ai fait tout récemment un troc affez confidérable. Un homme que j'honore infiniment, a voulu avoir un Ouvrage nouveau, & m'a fait prendre en échange un Livre, dont vous-même m'avez dit beaucoup de bien, & encore plus de mal.

Le Docteur. Je vous entens: C'eft Bayle. Quoi ? Vous mêlez cet Ouvrage avec tant de bons Livres ? C'eft un monftre enfanté par l'irréligion même.

Le Biblioth. Voilà de gros mots, Monfieur. Vous ne parliez pas de la forte il y a deux mois. Vous me difiez que Bayle étoit un Auteur d'une érudition profonde

d'une critique très fine, d'une délicateffe exquife & capable de contenter les goûts les plus difficiles.

Le Docteur. Ne vous ai-je dit que cela? N'ai-je pas ajouté que c'étoit un Auteur dangereux pour des Philofophes outrés, ou des Théologiens médiocres? Ne vous ai-je pas dit qu'il favorise le Pyrrhonifme en fait de Religion; qu'il y conduit infenfiblement & avec une adreffe d'autant plus pernicieuse, qu'elle eft mieux enveloppée enfin qu'être Déïfte ou Athée, & être Disciple de Bayle, c'est à peu près la même chofe?

Le Biblioth. Je fçais bien que vous l'avez assez décrié en général; & qu'en louant ce qu'il a d'eftimable, vous en faifiez du refte une censure fort févere. Mais je ne me souviens pas que vous m'en ayez jamais donné une idée fi affreuse.

Le Docteur. Souvenez-vous, je vous prie, d'un échantillon de fon Eloge, que je vous montrai autrefois dans la Préface d'un Li vre intitulé, Traité des Abus de la Critique en matiere de Religion.

Le Biblioth. Je crois en avoir un exemplaire. Le voilà juftement.

Le Docteur. Ecoutez ceci avec toute l'attention dont vous êtes capable. Ce judicieux Cenfeur des excès infupportables de la Critique, après s'être plaint amérement

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qu'elle a une pleine licence de s'exercer fur les fujets les plus refpectables, comme fur les plus minces, & de s'élever contre Dieu même &fes Saints, ajoute ce qui fuit: » Témoin » entre mille Ouvrages de ce caractere le Dictionnaire critique de M. Bayle, qui eft „un amas d'erreurs capitales, qu'on y a entaffées, fous prétexe d'en corriger d'affez indifférentes en fait d'Hiftoire & de Lit térature. Ouvrage à la Mofaïque, qui, ,, dans fon bizarre affortiment de citations ,& de réflexions férieufes & comiques, fournit de quoi former le plus monftrueux affemblage d'obscénités, d'hérésies & d'A» théilme. Ouvrage, qui pis eft, trop pro» pre à infinuer ces poifons avec tout l'agrément, que peuvent répandre la délica"teffe de l'efprit, la légèreté de la plu» me, & la variété de l'érudition jointe à la » fineffe de la critique. » Peut-on en dire davantage en peu de mots? Et peut-on don. ner d'un Livre une idée plus capable d'en infpirer de l'horreur à quiconque a de la Religion & de la pudeur?

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Le Biblioth. Voilà un étrange portrait, je vous l'avoue. Mais je doute qu'il foit fidéle. Car fi tout cela étoit exactement vrai, pourroit-il fe faire qu'on eût pour cet Ouvrage une estime fi générale ?

Le Docteur. Que vous connoiffez peu le goût de ce malheureux fiécle, vous qui fça

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