nos ennemis aux derniers périls ; mais fouvenez-vous qu'un: penfee, qui paffe par la bouche d'un homme fans fortune, devient une impertinence, quoique pleine de fageffe, d'intelligence & de bon fens. Je ne vois rien de plus véritable que cette maxime. On juge prefque toujours des hommes par ce qu'ils font plutôt que par ce qu'ils difent. C'eft ce qui fait faire fortune à une infinitè d'opinions abfurdes en dépit du bon fens & de la raifon, & conferver certaines coutumes qui ne leur font pas moins contraires. Sans la puiffance & l'autorité de ceux qui les foute noient nous euffions fans dou te pouffé plus loin nos connoiffances dans la science des armes que nous n'avons fait. Si la vérité qu'on représente nuë, marche en la compagnie d'un homme nû, elle ne fait aucune impreffion, on la rejette & on la méprise ; il faut que cet homme,qui la fuit ou qui la mene, foit paré & orné de tout l'éclat du rang & dp la fortune. C'eft ce qui mé rend incertain fur le fort de mon Livre, j'en ai même tout à craindre. La hardieffe que j'ai euë de m'écarter des routes ordinaires, & d'en vouloir ouvrir de nouvelles révoltera les zela teurs des ufages univerfellement reçûs. Soit entêtement pour les anciennes opinions, foit chagrin de n'être pas foimême l'auteur d'un nouveau fyftême, ou comme l'on dit, jalousie de métier, on ne manque guére de fe déchaîner contre un homme qui innove. On pardonne aux opinions, on ne pardonne pas à celui qui les propofe. On reçoit dans le fond du cœur ce qu'il avance, on le défendroit fi on l'avoit pensé, ou propofé foi-même; mais parce que c'est un autre qui eft auteur, on l'attaque. C'est ce qu'on a vû arriver de tout tems, & fur tout dans le fiécle paffé, qu'on peut apeller le fiécle des innovations dans les Arts & dans les Sciences, comme celui-ci l'eft de l'oubli, du moins à l'égard de celle de la guer re. Ariftote étoit un grand Philofophe; un autre eft venu plus de deux mille ans après lui, qui a fait voir par la raifon & par l'expérience qu'Ariftote s'étoit trompé ; fautil étouffer le grand hom-* Descarà me qui nous a ouvert les yeux ? Le fameux Anglois qui s'avifa le premier de dire que le fang circuloit dans les veines, s'attira tous les vieux Medecins de fon tems. Il fe vit trai tes. ter d'ignorant, de visionnaire, de chimerique, de ridicule, de fou; on alla même par le moyen du fyllogifme de conféquence en conféquence, jufqu'à le trouver hérétique comme il est arrivé à Mr Def cartes ; car la colere & la prévention dérangent terriblement la dialectique. Il m'est arrivé quelque chofe d'aprochant: il est vrai que l'héréfie n'en a pas été, (les été, (les gens de guerre ne font pas fi habiles Logiciens que les Medecins,) mais à cela près je n'ai pas été mieux traité que Harvé à l'afpect du projet de mon entreprife. Cependant ce projet étoit à peine une idée de celui |