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préjugez que l'usage & la prévention confacroit, tant de maximes relâchées que l'ignorance autorifoit, & que le défaut de lumiere faifoit paffer même pour bonnes.

L'étude de l'écriture fainte fit enfin fortir de cette létargie, qui eût caufé la perte de l'églife, fi l'église eût pû périr. Lûe dans fa fource on ne tarda pas à appercevoir cette foule d'erreurs & de fauffes opinions qui avoient inondé l'églife entiere, & qui, comme une ivraie dangereufe, avoit prefque étouffé la bonne femence. De toutes les parties de l'Europe on vit s'élever un grand nombre d'habiles gens qui en firent l'objet continuel de leur étude. Celle des langues fut d'une utilité indifpenfable pour en expliquer le texte, en développer les fens, aller audevant des chicanes que l'on pouvoit faire fur la lettre, répondre à toutes les difficultez que l'on pouvoit former contre les paffages obfcurs & embarraffez, démêler les équivoques que les termes ambigus & les contrariétez apparentes pouvoient faire naître. On établit dans plufieurs villes de l'Europe, & furtout à paris, des profeffeurs dont l'unique emploi, ou du moins le principal, étoit d'expliquer ces divins livres à leurs écoliers, & les traductions que l'on en fit en langue vulgaire, égalerent en quelque forte à cet égard le fimple fidéle au théologien. Les difputes que l'on fut obligé d'avoir avec les Luthériens, les Calviniftes, les Sociniens & tant d'autres hérétiques que l'églife eut le malheur de voir armez contre elle dans le XVI. & le XVII. fiécles obligerent de plus en plus les théologiens à faire une étude férieufe de ces oracles de la vérité; & ces conteftations ne fervirent pas peu à augmenter le goût pour cette étude, & à en faire fentir la néceffité & les avantages. De-là vinrent tant de commentaires fur toute la Bible, ou fur quelqu'une de ces parties; tant de differtations particulieres fur l'autorité de l'écriture en général pour la décifion des points de foi ; tant de difcuffions des interprétations différentes que chacun y donnoit felon fes préjugez & fon entêtement. Il eft vrai que la multitude de ces commentaires eft infinie, & qu'elle a plus chargé l'églife & la république des lettres qu'elle ne l'a fervie. Pourquoi en effet de fi gros volumes, & en fi grand nombre, que l'on ne peut avoir le tems de lire, ou qui ne fervent qu'à détourner de lectures plus utiles & plus intéressantes, ceux qui fe conduifent affez mal dans leurs études pour entreprendre de les lire ? La plupart ne font bons tout au plus qu'à confulrer dans le befoin. Leurs auteurs fe font jettez dans des questions étrangeres, ou dans d'inutiles réflexions que des efprits plus judicieux euffent évitées. D'autres n'ont traité que des queftions de pure curiofité, ou de fimple grammaire, quelques points de chronologie & d'hiftoire, qui ne fervent point à établir le dogme, & à regler les mœurs ; ce qui eft cependant l'unique but de l'écriture & ce qui doit être celui de tous ceux qui veulent l'étudier utilement pour l'églife & pour eux. Mais y il a quelques commentateurs dont les ouvrages font plus folides. Ceux-là furtout ont le mieux réuffi, qui à une plus grande intelligence des langues fçavantes, ont joint plus de connoiffance de l'antiquité eccléfiaftique. Il faut donc dans le choix ufer d'un grand difcernement.

Les mêmes raifons qui engagerent à s'appliquer férieufement à l'étude des livres faints, & à fe familiarifer, pour ainfi dire, avec eux, porterent auffi à rechercher les écrits des peres de l'églife, pour les étudier dans leurs textes originaux. Formant la chaîne de la tradition dont on ne peut s'écarter fans s'égarer, rien n'étoit plus néceffaire que d'examiner ce qu'ils avoient enfeigné, & de s'inftruire à leur école. L'écriture toute infaillible qu'elle eft, a befoin de la tradition pour l'expliquer & pour en confirmer les oracles ; & l'oppofition que les Proteftans ont pour celle-ci, eft une preuve qu'ils n'y trouvent que la condamnation de leurs erreurs & de leur fchifme. En effet la regle pofée par Vincent de Lerins dans le cinquiéme fiécle, que ce qui a été enfeigné toujours, par tout & en tout lieu, comme un dogme, doit être cru comme de foi, n'a jamais pû changer, parce que c'eft un de ces principes fi certains & fi évidens, qu'il fuffit d'être raisonnable pour l'admettre. Mais pour faire voir que tel ou tel sentiment eft entiérement conforme à cette règle, que telle ou telle vérité a ces trois caracteres; il faut être inftruit que la doctrine de l'églife eft conftante fur ce point. Et comment le fçavoir autrement, qu'en étudiant les peres de l'églife, & en examinanr de fiécle en fiécle ce qu'ils en ont penfé? Auffi la maniere la plus folide de difputer contre les hérétiques, n'eft pas d'employer contre eux les fubtilitez de la dialectique, ni les raifonnemens abftraits de la métaphysique, mais de leur montrer la perpétuité de la foi de toutes les églifes du monde chrétien, depuis les apôtres jufqu'à nous, fur le point qui eft en conteftation. C'eft ainfi que l'on a agi dans les difputes que l'églife Latine fut obligée d'avoir avec les Grecs, & dans celle qu'elle eut contre Wiclef, Jean Hus & leurs partifans. Elle eut recours pour les combattre à l'écriture & à la tradition, c'est-à-dire, à la parole de Dieu même, & aux écrits des peres & des autres auteurs eccléfiaftiques qui avoient précedé ces héréfies. C'eft ce qu'ont fait encore les peres du concile de Trente, que le défordre & l'erreur avoient obligé de s'affembler au nom de Jefus-Chrift, non pour faire de nouvelles decifions de foi, puisque l'on ne croyoit alors que ce que l'on avoit toujours cru, & que ce qui eft de foi n'eft fujet à aucun changement; mais pour expliquer de nouveau ce que l'églife croit & ce qu'elle croira toujours. C'est la conduite qu'ont tenu Erafme, Salmeron, Bellarmin, les freres Walembourg, & tant d'autres qui ont entrepris de venger l'église en particulier contre les blafphêmes de nos freres errans. C'eft celle qu'a fuivie le célébre M. Nicole dans ce grand & fameux ouvrage, où il a démontré fans réplique que ce que l'églife enfeigne aujourd'hui fur la présence réelle de Jefus-Chrift dans l'euchariftie, elle l'a toujours cru conftamment, & unanimement enfeigné. Les difputes font fâcheufes, mais elles produifent pour l'ordinaire un grand bien; elles réveillent les efprits, leur donnent de l'émulation, les forcent à faire ufage de leurs talens ; la vérité en fort plus éclatante; l'erreur en devient plus méprifée. Ces grands controverfiftes avoient fait une lecture profonde & affidue des peres de l'églife: c'étoit-là où ils avoient puifé les lumieres que l'on voit briller dans leurs écrits, mais que les préjugez de l'éducation & de l'engage

XI.

Etudes des peres.

XII.

Théologic fcholaftique.

ment ont obfcurci dans quelques-uns, comme dans Bellarmin, qui fur plufieurs points a beaucoup trop donné aux prétentions de la cour de Rome, & à l'autorité des papes. Les théologiens qui avoient précédé le XIV. fiècle depuis faint Bernard, ou faint Thomas, s'étoient donc privez d'un avantage nécessaire pour bien connoître la doctrine de l'églife, en abandonnant, ou du moins en négligeant fi fort l'étude des peres tant Grecs que Latins. Mais je ne puis m'empêcher d'admirer la conduite que Dieu a tenue fur fon églife, en réveillant le goût & l'amour pour cette étude, quelque tems auparavant que les héréfies de Luther & de Calvin priffent naiffance. C'étoit des armes qu'il mettoit entre les mains de fon époufe pour la défendre contre ces monftres qui devoient l'attaquer; & fans l'avertir qu'il la difpofoit à des combats longs & difficiles, il lui préparoit déja ce qui devoit faire fon triomphe & fa gloire. Le concile commencé à Boulogne, & terminé à Trente n'ayant pas tardé à fentir ces avantages finguliers que l'on retiroit de l'étude des peres, par cette raifon ordonna dès les premieres feffions commencées à Boulogne que l'on traduiroit en Italien plufieurs écrits des peres qu'il défigne, & la commiffion en fut donnée à Florimont, évêque de Seffa, qui s'en acquitta avec foin. Ce fait que je ne trouve dans aucun historien du concile de Trente, mais qui eft certain, & par ces traductions mêmes qui exiftent, & par ce que l'on peut dire dans une lettre écrite au cardinal Cervin, qui fut depuis le pape Marcel II. mérite, ce semble, d'être remarqué. Il fait connoître la honte que l'on fentoit d'avoir fi long-tems négligé une étude fi nécessaire, & l'ardeur que l'on eut pour la renouveller : & un fi grand nombre d'éditions & de traductions en differentes langues que l'on fit des ouvrages des peres pendant le courant du XVI. fiécle démontre que cette ardeur fe foutint. Nous pourrions ajouter qu'elle ne fit qu'augmenter pendant le XVII. fiécle, fi les preuves n'en étoient connues de tout le monde, & fi notre deffein étoit de pouffer nos réflexions au-delà du renouvellement des études.

La théologie gagna beaucoup à cette étude des peres. Plus fondée qu'auparavant fur les principes de l'écriture & de la tradition dont le voile étoit tiré, elle commença à être cultivée par des gens habiles qui s'appliquerent à des queftions utiles de doctrine & de morale, & qui les traiterent d'une maniere claire, folide & débaraffée des termes inutiles de la philofophie, & des questions épineufes d'une métaphyfique trop fubtile, Pierre d'Ailly, Jean Gerfon qui fut l'ame du concile de Conftance, Nicolas Clemangis & quelques autres montrerent l'exemple. L'étude de l'antiquité eccléfiaftique leur apprit à chaffer de leurs écrits la barbarie & l'obfcurité qui regnoient avant eux dans les fommes & dans les commentaires ordinaires des théologiens. Sans s'arrêter aux questions purement fcolaftiques, ils traiterent diverfes matieres de doctrine, de morale & de difcipline propres à éclairer l'efprit, à affermir la foi, & à former les mœurs. On abandonna Platon & Ariftote aux philofophes, & l'on n'eut recours à eux que dans les queftions de pure philofophie, qui n'appartiennent point à la fcience eccléfiaftique. Mais dans la théologie, qui eft la fcience des dogmes, & la doctrine des mœurs, on n'eut

égard

égard qu'à ce que l'Esprit faint même avoit dicté, & à ce que la tradi tion conftante & fuivie de l'églife, qui eft la colonne & la base de la vérité, nous avoit tranfmis de fiécle en fiécle.

Telle eft la méthode que les théologiens même fcholaftiques ont fuivie; au moins ceux d'entr'eux, dont le jugement étoit plus fain, qui avoient plus de goût,& à qui la lecture desSS. Peres étoit plus familiere. Car je n'ignore pas que dans plufieurs théologiens des XVI. & XVII. fiécles on trouve encore une théologie feche & décharnée, plus remplie de fubtilité que de folidité; qu'ils ont fouvent embrouillé les véritez qu'ils prétendoient éclaircir, & qu'ils ont accoutumé ceux qui ont eu le malheur d'être leurs difciples, & qui n'ont point fçû éviter leurs piéges, à pointiller fur tout, à chicaner perpétuellement, à chercher à tout des raifons bonnes ou mauvaises, à se contenter fouvent du vraifemblable, au lieu de tâcher d'arriver jufqu'à la vérité, dont la recherche doit être l'unique but d'un théologien, de tout chrétien, & même de tout homme fenfé; à faire naître bien des doutes fans les réfoudre, à donner occafion de mettre en problême des véritez conftantes, & à éteindre peu à peu dans les ames l'efprit de piété par la maniere feche & ennuyante dont ils expliquoient la vérité. Je voudrois auffi que plufieurs controverfistes euffent été de meilleurs logiciens, qu'ils euffent formé contre les erreurs qu'ils prétendoient combattre des raifonnemens plus juftes, pofé des principes plus évidens, tiré des conféquences plus indubitables, leur victoire eût été plus fréquente & plus folide; la lumiere eût été plus grande; l'églife eût plus gagné à leurs travaux & leurs veilles. Mais on eft en état aujourd'hui de rejetter ce qu'ils ont de mauvais ou d'inutile, & de ne profiter que de ce qu'ils ont de bon. Ce que je trouve de plus ridicule, c'eft que l'on ait prodigué dans le XIV. & dans le XV. fiécles aux moindres théologiens, les titres les plus magnifiques, & que ceux-ci s'en foient parez férieufement, comme s'ils les euffent méritez. Ces titres ont cependant été plus rarement donnez dans leXV. fiécle, parce que l'on avoit alors plus de goût & plus de lumiere. Jean Gerfon fut furnommé le docteur très-chrétien, mais il méritoit un tel titre. La pureté de fa doctrine, & la piété folide qui brilloit dans fes mœurs le lui avoient justement acquis. Ajoutons qu'il en étoit digne encore pour avoir fait une guerre fainte au pharifaïsme de fon tems, & pour avoir heureusement triomphé de ceux qui vouloient introduire dans le Chriftianifme des nouveautez contraires à la liberté évangélique & à la fimplicité de la religion, & qui s'efforçoient d'accabler les fidéles fous le joug de plufieurs préceptes onéreux, & de divers établiffemens dans la difcipline, dont la plupart étoient inouïs jufqu'alors dans l'églife. Pour le cardinal Cufa, j'ignore les raifons qui ont porté à l'honorer du même titre. Les uns l'ont loué de fon bel efprit, de fon habileté dans les affaires eccléfiaftiques & politiques : les autres l'ont fait paffer pour un excellent canoniste, d'autres ont admiré fa connoissance des mathématiques; mais il ne paroît pas que l'on ait rien remarqué de fingulier dans tout ce qu'il a écrit concernant la religion & la théologie, qui ait dû le faire diftinguer des autres par la qualité de très-chrétien, Tome XXXIII.

Le titre de docteur extatique donné à Denis le Chartreux, ne me paroît pas mieux fondé. Ceux qui fçavent quelle eft la multitude de fes ouvrages, jugeront aifément qu'il ne s'eft gueres donné le loifir de méditer, & de fe laiffer aller à l'extafe pendant qu'il écrivoit.

Pour revenir à la théologie fcholaftique, nous fçavons que l'on a accufé les théologiens François, de l'avoir renduë trop contentieufe par les fubtilitez de la dialectique, & d'entretenir parmi eux une forte de théologiens libres qui mettent en question les véritez les plus certaines & les plus importantes ; c'eft-à-dire, qu'on nous accufe des défauts que je viens fi juftement de reprocher. Mais d'habiles gens ont fait voir fur le premier point, que fi l'on s'eft cru obligé dans la faculté de théologie de la capitale de ce royaume, d'introduire & d'employer cet art qu'on nomme fcholaftique, ce n'a été que pour donner de l'ordre & de la méthode au raifonnement. Cette fage faculté a confidéré, que quoique notre raifon doive être foumife à la foi, & que nous devions recevoir fans raifonner les véritez de la religion qui ont été révélées, nous pouvons néanmoins rendre compte de notre foumiffion, & de l'acceptation que nous faifons de ces véritez ; que nous y fommes même obligez, foit pour combattre ceux qui attaquent notre créance, foit pour inftruire ceux qui l'ignorent. Elle a pris de la méthode des anciens philofophes, & furtout d'Ariftote, ce qu'elle a jugé de plus propre pour détruire le menfonge & pour établir la vérité. Elle a imité en cela faint Jean Damafcene, qui s'étoit formé long-tems auparavant de pareilles idées avec affez d'ordre & de fuccès. On convient, & nous l'avons déja dit, que la théologie fcholastique a dégénéré de tems en tems en chicanes & en fauffe dialectique ; mais loin d'en rejetter la faute fur les théologiens François, il feroit facile de montrer que cette corruption & ces défordres ne font venus le plus fouvent que des théologiens étrangers, principalement des Espagnols, qui. ont été à charge à la faculté de Paris, & qui n'en ont été confidérez que comme des membres vicieux. Il n'est pas moins certain que cette faculté a eu foin de tems à autre d'y apporter des remedes, & d'ordonner par fes décrets qu'on enfeigneroit l'écriture fainte, les faints peres, l'ancienne théologie & les faints canons, avec toute la pureté & la fimplicité poffibles, & qu'on en banniroit toutes les vaines fubtilitez. Nos rois même, comme François I. n'ont pas dédaigné d'en prendre connoiflance, & par leurs ordonnances également falutaires & féveres, ils ont remédié à ces abus, autant qu'il leur a été poffible. Au refte cet art & cette méthode fcholaftique, en la refferrant dans les bornes dont on vient de parler, a rendu notre religion redoutable aux novateurs des derniers fiécles, & de-là vient que ne pouvant y réfifter, ils ont entrepris de la décrier, en déclamant en général contre la fcholaftique, fans en vouloir diftinguer les abus d'avec le légitime ufage. La feconde accufation eft encore moins fondée, & de tous les royaumes de l'Europe, la France feule a fçû conferver le jufte milieu entre l'impiété des libertins, & la fuperftition des faux dévots. Il s'y trouve plus qu'ailleurs, il s'y eft toujours trouvé plus de meilleurs écrivains, de plus inftruits de la religion, & ceux qui en ont mal écrit y ont toujours

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