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loin que je n'aurois crû: je ne crains pas que l'on m'accufe de méditer réguliérement fur une chofe, & de ne point prendre le change. Un homme qui veut de la méthode & de la régularité par tout, ne la trouvera pas par tout dans cet Ouvrage. Je fuis fi peu contraint à l'égard de mon texte, que je l'abandonne le plus fouvent, & quelquefois mon fujet, de forte que mon Lecteur fe trouve tout d'un coup tranfporté dans des lieux tout nouveaux, qui ne le divertissent pas moins que les autres, où il se retrouve en peu de tems pour voir de nouveaux objets, fans avoir le tems de s'ennuier ou de fe plaindre.

Qu'est-ce donc que votre Commentaire, diront quelques-uns, fi vous fortez des régles prefcrites aux Commentateurs fcrupuleusement liez à leur texte? Je ne faurois le définir, c'est à chaque Lecteur à prendre ce foin, s'il lui plaît: quelqu'un, plus heureux que je ne le fuis, créera quelque nouveau terme qui fourniffe une idée plus jufte & plus étendue que celle d'un Commentaire, & qui puiffe bien représenter les courfes que je fais de tous les côtez fur mille fujets d'érudition & de recherches; tout roule prefque fur les faits aufquels je m'attache principalement, combats, batailles, fiéges, marches, mouvemens généraux de toute efpéce, retraites, entreprises grandes & extraordinaires; enfin tout ce qui regarde la guerre la fcience du Chef comme celle de tous ses membres, je l'embraffe & je la traite dans toutes fes parties, autant que j'en fuis capable. Dès qu'un fait fe préfente, le Commentaire s'évanouit; celui-là délaffe, plaît & amufe; on ne trouve pas moins de variéte, d'ornement, d'érudition & d'inftructions dans celui-ci, c'est-à-dire dans le dogme, tout en eft plein, & c'est là le but où je vife.

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Je ne pense pas que je me fuffe jamais engagé à former un deffein fur un tel Systême, fi je n'en avois connu la néceflité. La fcience de la guerre, difent nos Auteurs militaires, eft affez femblable à la Géométrie, elle eft féche & fauvage, peu fufceptible des graces & des ornemens de l'éloquence & des parures de l'érudition; ces Meffieurs décident bien vîte, comme fi Xénophon, comme tant d'autres Anciens ne faifoient pas voir le contraire; nos Auteurs modernes fecs & arides, à la façon des abréviateurs, reviendroient de leur erreur, & tiendroient un autre langage, s'ils s'étoient mis en tête de traiter la guerre d'une maniére un peu moins vague, plus étendue, & fur de meilleurs principes qu'ils n'ont fait.

Montécuculi eft un Abréviateur, eft-il fec? J'en laiffe le jugement aux Experts. Je ne crois pas qu'on dife de mon Livre des Nouvelles Découvertes fur la Guerre, ce que difoient les Dames du Ménagiana fur un fujet tout différent, qu'il y pleut de l'ennui à verse. L'Ouvrage que je donne aujourd'hui, ne plaira peut-être pas moins, puisque Je l'ai compofe fur les mêmes principes que le premier. Il ne différe que dans l'étendue des matiéres que je traite, que j'épuife & que je cou

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lè à fond, hors quelques-unes, & j'ai eu des raisons de ne pas le faire. Je ne l'euffe jamais entrepris, fi mes fervices à la guerre & une perpé tuelle étude des fciences qui ont rapport à ma profeffion, n'alloient bien loin au-delà de ces années de calme & de repos dont nous jouiffons, & qui femblent vouloir difparoître.

L'entreprise eft grande, je n'en faurois difconvenir; on échoue en faifant des projets trop vaftes & trop difficiles, je l'avoue: mais cela n'est pas toujours vrai. Si cette entreprise eft au-deffus de mes forces & de mon favoir, c'eft ce que je ne puis dire encore, du moins n'eftelle pas au-deffus de ma hardieffe: s'il y a plus que du hardi dans mon fait, ce qui peut bien être, je puis être heureux fans être plus habile que ceux qui font moins entreprenans & moins ambitieux. S'il eft décidé que je tomberai de bien haut, j'aime mieux illuftrer ma chûte, & échouer dans un grand deffein, que de me fauver dans un médiocre.

Quand on a par devers foi de longs fervices, des études, une violente paffion pour la Guerre, qu'on a vu manoeuvrer des Généraux habiles & expérimentez pendant le cours de deux grandes & cruelles guerres, que l'on a pratiqué foi-même, ou du moins que l'on a fourni des projets pour l'éxécution de certaines entreprises qui ont eu un fuccès heureux, qu'on s'eft perpétuellement appliqué à fon métier fans aucun foin de fa fortune, & qu'on s'eft acquis les connoiffances nécessaires pour traiter tout ce que la fcience des armes a de plus grand & de plus élevé, on peut raisonnablement espérer de réuffir dans une entreprife fi vafte & fi peu commune, puifqu'alors on n'a rien négligé de ce qui peut conduire au but que l'on s'eft propofé. Malgré cela je ne dois pas crois re y être arrivé: mais du moins me faura-t-on gré, fi l'on n'est injuste, d'avoir tenté d'y atteindre..

Je le fens bien, j'aurois plus befoin qu'un autre d'entrer en juftifica tion avec mon Lecteur des fautes où je puis être tombé. Il eft difficile, pour ne pas dire impoffible, de n'en pas faire beaucoup dans un Ouvrage d'un détail auffi grand & auffi vafte que celui-ci. Malgré toute mon attention à éviter les méprises, je prévois affez que je me tromperai en bien des endroits, & fur certaines matiéres qui n'ont aucun rapport à mon métier, & fur lefquelles je ne fuis pas fi bien campé & fi bien retranché que fur les autres. Mais à quoi me ferviroit-il de crier, s'il y a bon quartier à mon Lecteur, qui n'en donne aucun, & de perdre mon tems en vaines excufes ? Je l'ai dit dans ma Préface de mes Nouvelles Découvertes, je préviendrois inutilement fon jugement par des juftifications ennuieufes, & encore plus inutiles; on prend trop de plaifir à relever les fautes d'un Ecrivain, pour croire qu'on m'excufe dans les miennes. Un Auteur n'a qu'à bien faire, dès qu'il s'est mis une fois en campagne, c'eft au Public à juger de fon favoir ou de fon ignorance; il s'agit feulement de l'un ou de l'autre dans un homme de la profeffion que je fuis...

L'on

L'on auroit très-grand tort d'éxiger de moi autre chofe que d'écrire en homme qui n'entreprend rien de trop téméraire, & qui croit pofféder affez bien les matiéres dont il traite, & de les expliquer feulement d'une maniére claire, fimple, naturelle & fans baffeffe. Il ne s'agit point ici de stile, & de marcher en grand appareil & avec pompe.comme dans un triomphe de Rhétorique, mais des chofes & des pensées; j'ai crû qu'il fuffifoit de m'en tenir là, fans négliger pourtant ce qur appartient à l'éloquence militaire, qui ne fouffre rien de bas ni de trop relevé, autant qu'il dépend de mes forces, j'imite certains arbres qui donnent des fleurs & des fruits tout ensemble. C'est affez que nous aions tant fait que d'y parvenir, & c'eft encore ce que les gens de guerre, comme les autres qui veulent s'inftruire, demandent & fouhaitent le plus.

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Qu'on ne s'imagine pas que j'imiterai certains Commentateurs qui se contentent de mettre de nouveaux mots, rarement de nouvelles chofes, & fouvent de celles qui ont été mille fois répétées par différens Auteurs. Il eft facile de cultiver les terres qui ont été déja défrichées & travaillées par d'autres. J'ai crû devoir les laiffer à leurs premiers Maîtres, & qu'il me feroit plus glorieux de m'ouvrir des paffages à travers les forêts les plus obfcures, & où perfonne n'avoit encore penfé à pénétrer depuis tant de fiécles, fans me croire pourtant plus habile & plus éclairé, mais plus hardi & plus patient que les autres, puifque perfonne n'ignore combien la recherche du vrai coûte de peines & de foins; dans les endroits où je le cherche inutilement parmi les ruines & les débris des tems antiques, je mets en ufage mes conjectures; que s'il arrive que je me fois trompé en quelques-unes, on ne fauroit le trouver étrange, puifque je ne les donne que fur ce pied-là. Si des Savans illuftres & de mes amis ne fe font pas trompez dans le jugement qu'ils en ont fait, j'ose espérer qu'il n'y en aura aucune de rebutée. Il est vrai que j'attaque en quelques endroits celles de quelques grands hommes qui ont traité comme moi l'antiquité militaire, & que je fais voir leurs erreurs; mais il faut que l'on confidére que ces erreurs ont produit la vérité, & que celles où je puis être tombé, auront peut-être le même avantage, aiant approché en bien des chofes difficiles au plus près de la vérité fans la reconnoître & fans l'aborder. Après tout il ne faut pas que le nom & le titre de Savant nous en impofent; l'on verra qu'ils ont, faute d'expérience, débité bien des chofes fauffes pour des véritez.

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Je prévois affez, & felon toutes les apparences je ne me trompe point, qu'on trouvera cet Ouvrage un peu trop diffus. Il eft affez ordinaire aux efprits précieux & dégoûtez, dit un Savant, de fe plaindre de la prolixité des Auteurs; ce défaut dont je puis être accufé, & dont je m'accuse, me fait fouvenir d'un beau paffage de M. Arnaud, qui me paroît digne d'être copié. Il est vrai, dit cet homme célébre, qu'à

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l'égard de ceux qui ont beaucoup de pénétration d'efprit, & qui entendent à demi mot, j'aurois pû être bien plus court; mais on écrit pour toutes fortes de perfonnes, & il est juste que les plus forts s'accommodent à la portée des plus foibles, felon ce que Saint Auguftin difoit à fon peuple: Patiantur aquila dum pafcantur columbæ. J'ai de plus ce défaut, (car c'en est peut-être un) que j'ai trop d'attache à faire enforte, autant que j'en fuis capable, que ce que je crois vrai foit expliqué d'une manière qu'il foit bien facile de le bien comprendre, & d'en être perfuadé; c'est cela feul, ce me femble, qui me fait être plus long que je ne voudrois.

Je n'ai pas d'autres raifons que celles que je viens d'alléguer pour juftifier l'étendue que je donne à certaines queftions. S'il fe trouve des gens à qui elle déplaise, fans difficulté j'en entrevois un plus grand nombre qui m'en remerciera, parce que je ne dis rien d'inutile, ni rien de fuperflu, ou du moins tout porte coup. Après tout, qui eft l'Ecrivain fur la terre qui puiffe contenter tout le monde? J'offre ici un festin abondant, compofé de toutes fortes de mets & de fruits tirez de mon cru en plus grande quantité que de celui des autres ; il est libre à chacun des Conviez de choifir & de prendre ce qu'il trouvera de plus à fon gré, tout eft apprêté de ma main, & j'ai eu égard aux différens goûts.

Si j'avois paflé une partie de ma jeuneffe dans un Collége, & étudié fous la difcipline d'un Pédagogue qui m'auroit inftruit des régles de la Rhétorique, & appris à nc donner à mes peníées & à mes raisonnemens que la jufte étendue qu'ils doivent avoir, j'aurois été peut-être plus court, je n'en difconviens pas; mais je ne faurois croire que je n'euffe pas ennuié: il faut laiffer un cours libre à l'humeur & à la nature, & c'eût été forcer l'une & l'autre. Je ne faurois me contenir fous les enfeignes de ces régles, je n'ai pù me contraindre dans cette forte de difcipline, déplaît-on moins fans ce défaut ou avec ce défaut, fi l'on manque d'efprit?

Je crois que cette méthode preffée eft admirable dans un Auteur de profeffion, qui doit avoir des vûes fuivies, marcher ferré & uni comme une Colonne, fans digreffion, fans fuperfluitez, fans citations & fans éxemples, franchement c'eft une très-grande fervitude que cela, c'est se mettre à la chaîne. Me donné-je pour un Auteur tel que je dis? J'imite le mien, qui ne court pas à fec comme les autres. Marche-t-il plus ferré & dans une plus grande difcipline de Rhétorique que je ne fais? Déplaît-il? Ennuie-t-il? Au lieu que la plupart des autres font un effet tout contraire fur l'efprit de leurs Lecteurs. Si c'est un mauvais modéle felon quelques Savans, ç'en eft un bon felon d'autres plus Savans qu'eux, & plus grands Connoiffeurs. Je m'en tiens à ceux-ci fans méprifer les autres, & plus encore à la nature qui m'y entraîne, comme elle entraînoit Michel de Montagne, & contre laquelle la Rhé

torique, toutes fes régles & fes Professeurs vont se brifer comme con

tre un roc.

On peut juger par ce que je viens de dire, que les libertez que je me donne, & les hardieffes que je prens ne font pas petites, & je m'en fai gré. J'en avertis mes Lecteurs par avance, bien loin de chercher des raifons pour excufer mon libertinage.

La République des Lettres a fes libertins & fes amufans; déplaifentils? Sont-ils rebutez? Il s'en faut bien,ils font au contraire très-recherchez; ils nous donnent des fruits & des fleurs en abondance pêle-mêle & fans ordre comme un trophée, & le tout ensemble compofe une odeur très-douce & très-agréable. Rien ne plaît & ne réjouit tant que cela; c'eft la régle que j'ai fuivie; & le préfent que je fais au Public, aux Gens de guerre, aux Savans, & à ceux même qui ne le font pas, & qui ne lifent que pour délaffer leur efprit. Le préfent eft fort peu de chofe, mais enfin c'est le travail de plufieurs années.

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Polybe fit un femblable présent à son fiécle il y a deux mille ans, il en fut admiré comme nous l'admirons, & comme on l'admirera toujours. S'il n'eft pas en entier, du moins ce qui nous refte de ce grand homme nous fait affez juger de l'excellence du tout. Il l'orne & le pare de nouveaux fruits & de fleurs toutes nouvelles, que je préfente à mon fiécle, & le tout rangé & varié de la même façon que mon Auteur a donné le fien. Car c'eft de lui que je reçois l'ordre. Bien affûré que cette méthode, bizarre en apparence, attirera davantage l'attention & la curiofité de mes Lecteurs.

Souvent un beau défordre est un effet de l'art.

Je m'attache aux batailles, aux combats qu'il rapporte, je les éclaircis, je les mets dans un plus grand jour, j'en tire le précepte & la méthode, & j'accommode le tout à mon Systême de Tactique, & à ma maniére d'attaquer & de fe défendre; j'y ajoute des Plans & des Figures des ordres de batailles pour un plus grand éclairciffement, j'appuie le tout d'observations & de remarques, lorfqu'il s'agit de quelque partic confidérable de la guerre, que je traite toutes fur ces principes.

Il y en a certaines plus importantes que je fubdivife en plufieurs autres, & chacune eft expliquée & traitée féparément. Il s'en trouve quelques-unes dont aucun de nos Auteurs dogmatiques n'avoit parlé, foit par oubli, foit qu'ils ne crûffent pas qu'on pût fes réduire en principes & en méthode. Du moins devoient-ils nous faire voir qu'elles ne leur étoient pas inconnues. A l'égard des autres, à peine nous en donnentils une bonne idée. Enfin je me conduis de forte que chaque Chapitre ou Paragrafe les représente par des côtez différens, felon les divers cas, le tems, les lieux, les occafions, le nombre, le plus ou le moins de force dans une arme que dans l'autre, les variations d'ordres, les dif

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