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PRÉFACE

SUR les Oraifons Funèbres de M. FLÉCHIER.

QUOIQUE nous foyons remplis d'eftime pour tout

ce qui eft forti de la plume élégante de M. Fléchier, nous convenons, avec les vrais connoiffeurs, que fes Oraisons funèbres font la partie la plus estimable & la plus précieuse de fes ouvrages. Ce font du moins de toutes les productions oratoires de cet éloquent Prélat, celles qu'on connoît le plus, par la multitude des éditions qu'on en a faites, & qui ont le plus contribué à fa gloire. Sans adopter l'opinion de quelques prétendus critiques de nos jours, qui réduifent le mérite littéraire de cet excellent Orateur, à celui de fes Oraifons funèbres, nous penfons que c'est par elles, plus que par les autres écrits de différens genres, qui restent de lui, que fa réputation s'eft établie de fon temps, qu'elle s'eft maintenue jufqu'à nos jours, & qu'elle fe tranfmettra probablement à la postérité la plus reculée, fi le goût du beau & du vrai fe conferve dans le monde.

M. Fléchier s'étoit effayé de bonne heure dans ce genre d'éloquence, où il devoit obtenir un jour des fuccès fi brillans & fi durables. Il vivoit encore dans la congrégation refpectable de la Doctrine chrétienne, lorfqu'on jeta les yeux fur lui pour le charger de l'oraifon funèbre de M. Claude de Rebé archevêque de Narbonne, mort le 17 Mars 1659, Prélat recommandable par fa piété, la régularité de fes mœurs, & les monumens de fa charité qui fubfiftent encore, tant à Narbonne que dans plufieurs autres villes de fon diocèfe. Composer, apprendre & prononcer ce discours, ce fut à peine l'ouvrage de dix jours pour

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peu

le jeune Orateur, qui n'étoit alors que dans fa vingt-
feptième année; preuve certaine de l'heureufe facilité
qu'il avoit reçue de la nature. Ce premier fruit de fes
talens, tout foible qu'il étoit, lui mérita néanmoins
des applaudiffemens, dont il fut mieux fe rendre
digne dans la fuite. Ceux qui ont cherché à trouver
des rapports entre l'élégant Fléchier & le tendre
Racine, auroient pu remarquer qu'ils entrèrent à
près, l'un & l'autre, au même âge dans la carrière
qu'ils ont parcourue avec tant de fuccès; qu'ils an-
noncèrent à leur debut ce qu'on devoit attendre d'eux
quand l'âge & le travail auroient mûri leurs talens;
& qu'ils fentirent dès-lors que la capitale étoit le feul
théâtre où leur génie pût s'étendre & fe perfection-
ner. Mais il faudroit ajouter que Fléchier, plus foi-
gneux de fa gloire que Racine ou fes éditeurs ne l'ont
été de la fienne, a prudemment fouftrait aux yeux
du public, une pièce qui feroit fans doute à fes au-
tres ouvrages du même genre, ce qu'eft la Thébaïde
aux chefs-d'œuvres de l'immortel auteur de Phèdre &
d'Athalie.

Fléchier étoit déjà célèbre dans la capitale, où il balançoit la réputation des plus grands Prédicateurs de fon temps, fans excepter Boffuet lui-même, qui paffoit, avec raifon, pour l'aigle de la chaire, lorfqu'il prononça l'éloge funèbre de l'illuftre Julie-Lucine d'Angennes de Rambouillet, ducheffe de Montaufier. Cette dame qui avoit fait dès l'âge le plus tendre, l'admiration de la cour & de la ville, par fon efprit & fes vertus, étoit l'époufe de ce duc de Montaufier, gouverneur du Dauphin, fi redouté des courtifans à caufe de fa franchise, fi cher aux gens de bien à caufe de fon incorruptible probité, le bienfaicteur & l'ami de Fléchier. Elle avoit auffi contribué à fa fortune par les liaisons utiles qu'elle lui avoit procurées parmi les personnes du plus haut rang, & de la réputation d'efprit la mieux établie. L'Orateur déploya toutes les richeffes de fon imagination, tous

les moyens que la nature & l'art pouvoient lui fournir, pour mettre le mérite de fon héroïne dans le plus beau jour; enforte qu'on peut dire de ce difcours, auffi pieux qu'éloquent, que c'est l'ouvrage du talent, chargé d'acquitter la dette d'une ame reconnoiffante.

Avant que M. Fléchier eût prononcé ce difcours, il étoit connu pour l'un des Orateurs les plus ingénieux & les plus diferts de fon temps: mais on ignoroit encore jufqu'à quel point il poffédoit, & les fineffes de fa langue, & la fource des vraies beautés du ftyle oratoire, & les convenances qui apprennent à ne prendre d'un fujet, non pas toujours ce qu'il offre de plus agréable ou de plus impofant, *mais ce qu'il a, fi l'on peut parler ainfi, de plus intrinsèque, de plus propre à le diftinguer de tout autre : il a fait voir par ce discours & par tous ceux qui l'ont fuivi, combien il avoit approfondi les règles du goût fans lefquelles le plus beau génie s'éga

re,

en confondant l'extraordinaire avec le neuf, le gigantefque avec le grand, l'obfcur avec le profond, le bas avec le naïf. On avoua que perfonne ne connoisfoit mieux que lui l'art de louer fans fadeur, fans enflure, fans exagération, en confervant aux grandes chofes toute leur dignité, en donnant aux petites une valeur qu'elles ne peuvent recevoir que de la manière de les présenter; art difficile en lui-même la louange ayant toujours quelque chofe qui déplaît à notre orgueil, en élevant les autres au-deffus de nous, plus difficile encore pour l'Orateur chrétien, dont la bouche confacrée à la vérité, ne doit faire fervir l'éloge des morts qu'à l'inftruction des vivans & à la gloire de la vertu.

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De tout temps, & chez toutes les nations, policées, ou barbares, l'éloge a été une espèce de culte, & une partie de la religion publique. D'abord il fut réfervé à la divinité feule. On célébroit dans les affemblées religieufes, fa grandeur, fa magnificence,

fa bonté, fes bienfaits. Au-deffus de tout par fon indépendance & fa fouveraineté, ne manquant de rien, ne pouvant rien recevoir qui la rende plus riche, plus puiffante, ou plus heureufe, ce n'étoit qu'en célébrant fon être caché sous le voile de la na→ ture, mais fenfible & préfent en tous lieux par les effets de fa puiffance, qu'on pouvoit faire éclater l'admiration & la reconnoiffance qui lui font dues; & les hommes ne connoiffoient d'autres moyens d'en obtenir de nouvelles faveurs, qu'en publiant par des hymnes & des chants religieux, celles dont il les avoit déjà comblés. Ce qu'on vit à cet égard chez les anciens peuples, ce que les monumens de l'hiftoire & de la tradition nous en ont appris, fe trouve encore parmi les nations fauvages du nouveau monde. L'éloge y a confervé fa première destination, & fon premier caractère. C'est à la divinité qu'il est principalement confacré, foit pour la remercier, quand elle fe montre propice, foit pour l'apaiser quand on la croit irritée.

C'est en faisant du bien à fes femblables, en pro égeant leurs jours, en les arrachant au danger qui les menace, en les délivrant de l'ennemi qui les pourfuit, en les foulageant dans les maux qui les accablent, que l'homme se rapproche de Dieu, autant qu'il eft poffible à un être auffi foible, d'imiter l'être qui peut tout; nulla re homines propiùs ad Deum accedunt, quàm falute hominibus danda, dit Cicéron, dans fon plaidoyer pour Marcellus. Telle eft l'origine des éloges décernés dans tous les âges & par toutes les nations, aux premiers auteurs des lois, aux inventeurs des arts, aux bienfaiteurs de l'humanité, aux défenfeurs de la patrie, aux grands hommes qui ont bien mérité de leurs concitoyens. Ainfi « la louange, dit l'éloquent auteur de l'Eilai fur les Eloges, élevée d'abord vers la divinité, def»cendit jufqu'à l'homme; elle devoit s'avilir un jour, mais elle commença par être jufte. Elle cé

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