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fujets d'un Poëme ne font pas également convenables à la Peinture, que fouvent ils rentrent trop dans eux-mêmes,& qu'enfin ils peuvent produire une fatiété qui déplaît & qui impatiente : j'efpére cependant que ce Recueil méritera quelque indulgence, fi ce n'est en total, du moins en faveur de l'intention & de quelques parties de l'Art, préfentées fous une face différente de l'ordinaire. La Peinture s'y trouve en quelque façon mife dans une action continuelle, & chaque fujet eft, pour ainfi dire, placé sur le che

valet.

Je paffe aux raifons qui m'ont empêché de donner une plus grande étendue à ce projet, & qui m'ont fait exclure les Poëmes modernes. On est toujours convenu que plus un Poëme fourniffoit d'images & d'actions, plus il avoit de fupériorité en Poëfie. Cette réflexion m'avoit conduit à penser que le calcul des diffé

rens Tableaux, qu'offrent les Poëmes, pouvoit fervir à comparer le mérite refpectif des Poëmes & des Poëtes. Le nombre & le genre des Tableaux que présentent ces grands ouvrages, auroient été une efpéce de pierre de touche, ou plutôt une balance certaine du mérite de ces Poëmes & du génie de leurs Auteurs. Cette idée m'avoit féduit, & j'ai lû les ouvrages modernes en conféquence; mais j'ai abandonné ce projet, après avoir vû qu'aucun de ces ouvrages ne pouvoit me fournir une fuite continue de Tableaux agréables, variés & prefque dépendans les uns des autres, telle enfin que les productions fublimes d'Homére, me l'ont présentée. Les détails dans lefquels je vais entrer ferviront à faire fentir mes raisons pour l'exclufion des modernes, & à prouver qu'aucune prévention en faveur des anciens, ne m'a conduit.

Je ne parlerai point du plus ou du

moins de convenance que préfentent les Poëmes dans lefquels la fable fe trouve alliée avec la Religion Chrétienne. Cette difcuffion regarde l'art Poétique : il suffie ici de dire que la Peinture ne peut foutenir ces fortes d'affemblages.

Pour faire fentir cette vérité, je vais donner une legére idée de quelques Poëmes modernes des plus connus, fans vou loir les envisager que du côté de la Pein

ture.

Le Dante eft assurément un homme de génie, & le temps auquel il a vêcu * ajoûte d'autant plus à fon mérite, que les ouvrages dont il étoit environné, étoient informes & barbares, & que la critique n'avoit point encore ouvert les yeux fur les grands modéles de l'antiquité. On peut même affurer que fon ouvrage auroit été plus digne de fon efprit, s'il eut vêcu

Il vivoit à la fin du XIIIe fécle & au commencement du XIVe.

deux fiécles plus tard. En effet, fon Poëme fondé fur la Religion Chrétienne, n'est à proprement parler qu'un récit continuel dépourvû d'action & d'objet particulier.

D'ailleurs, dans le petit nombre de Tableaux qu'on trouveroit dans cette narration, on ne pourroit se dispenser de repréfenter fans ceffe Virgile à côté du Dante; l'ancien Poëte eft inféparable de cet Auteur, il eft le fpectateur, le continuel témoin de fes actions & des impreffions qu'il reçoit. Ces répétitions de deux figures font froides en elles-mêmes par la raifon qu'elles font dépourvues d'action, & que n'étant admifes que pour regarder, elles font infoutenables dans la Peinture. Cet Art eft donc ici d'accord avec plufieurs autres parties de l'efprit, pour dire que tout ouvrage en Vers & divifé par Chant, n'eft pas toujours un Poëme.

Le XVIe fiécle a produit trois ouvrages épiques qui ont mérité d'être diftin

gués. La Lufiade par le Camoëns, la Jérufalem délivrée par le Taffe, & Roland furieux par l'Arioste.

Le Camoëns dans fa Lufiade me paroît plus original que le Taffe & l'Ariofte; c'est-à-dire, qu'il a fçu profiter plus habilement des Auteurs anciens, & fe rendre propres quelques-unes de leurs beautés. Cependant fon Poëme présente plus d'Images que de Tableaux, c'est-à-dire, plus de Descriptions que d'Actions intéreffantes. * D'ailleurs, la Religion chrétienne est toujours mêlée avec les Dieux de la Fable, & l'on ne s'accoutume point

ment

* Le Tableau, pour parler exactement, eft la représentation du moment d'une action ; je dis pour parler exacte car ce mot a des acceptions différentes, trop longues à difcuter dans une Note, & que tout le monde peur fentir. L'Image, au contraire, n'a fouvent point affez de corps pour être peinte dans les différens momens qu'elle préfente, & n'eft effentiellement qu'une Defcription: ce mot eft fouvent employé fans beaucoup de précision, de même que celui de Tableau. Ainfi le Tableau ne peint qu'un instant, & l'Image plufieurs inftans fucceffifs. Le Tableau s'il m'eft permis de le dire, tient au génie, & l'Image tient à l'efprit.

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