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Liv.LXXXIII.

n., S.

Ricord.Malefp. C. 131.

profeffeurs pour la langue Grecque & l'explication des auteurs Grecs.

Je trouve encore quelque peu de Chrétiens qui fçavoient l'hebreu, comme les deux qui furent employez à Paris à la traduction des extraits du Thamuld en 1248. & Robert d'Arondel en Angleterre. Mais je ne vois point qu'on profitât de cette étude pour l'intelligence du fens litteral de l'écriture, qui en eft le meilleur ufage, & pour la connoissan ce des traditions des Juifs, qui revient à la même fin. Au contraire on vouloit abolir la mémoire de ces traditions, comme il paroît par la condamnation du Thalmud; & on ne voyoit pas que c'étoit irriter les Juifs fans aucune utilité. Car que prétendoient faire nos docteurs en brûlant ces livres ? Les abolir entierement: & ne voyoient-ils pas qu'ils fe confervoient entre les mains des Juifs répandus en Efpagne & en Orient hors la domination des Chrétiens, qui avec un peu de tems & de dépenfe les communiqueroient aux autres? C'est ce qui eft arrivé, & le Thalmud s'eft fi bien confervé, qu'il a été imprimé tout entier & plufieurs fois. Les Chrétiens curieux en ont profité; & laiffant à part part les impietez, les fables & les impertinences des Rabins, ils en ont tiré des connoiffances très-utiles, tant pour entendre l'écriture, que pour compour.combattre les Juifs par leurs propres armes.

Après la grammaire on étudioit dans nos univerfitez la rhétorique, mais d'une maniere qui fervoit plûtôt à gâter le ftyle qu'à l'enrichir. Leur rhétorique confiftoit à ne parler que par métaphores ou autres figures étudiées, évitant avec foin de s'expliquer fimplement & naturellement : ce qui rend leurs écrits très-difficiles à entendre. Voici les lettres du pape Innocent III. & de fes fucceffeurs, ou de Pierre de Blois, & fur tout celles de Pierre de Vignes, admirées en fon tems comme des modéles d'éloquence pulchra dictamina. D'où vient que Malefpini dans fon hiftoire de Florence l'appelle fon dictateur. Ce qu'ils affectoient fur tout c'étoit d'employer les frases de l'écriture: non pour autorifer leurs pensées & fervir de preuves, qui eft l'ufage legitime des citations, mais pour exprimer les chofes les plus communes. Ainfi dans une hiftoire au lieu de dire fimplement: un tel mourut, ils difent: Il fut joint à fes peres: ou : Il entra dans la voye de toute chair. Or ces frafes gâtent encore leur latin étant traduits mot à mot de l'hebreu; & il eft à craindre que pour les ajulter au fujet, l'auteur n'ait quelquefois forcé fa pensée, & dit un peu plus ou un peu moins qu'il ne vouloit.

Un autre fruit de leur mauvaise rhétorique font les lieux communs dont leurs écrits font remplis. Comme ces ennuyeufes préfaces par où commencent les bulles, les conftitutions & les privileges des princes; & ces fades moralitez qui fe trouvent à chaque page dans les fermons & les écrits de pieté : qui demeurant dans les thefes generales, dont tout le' monde convient fans en faire l'application au détail, ne font d'aucune utilité. C'est ce qui nous doit confoler de tant d'écrits de ce genre du treiziéme & du quatorziéme fiécle qui n'ont pas encore vû le jour : on n'en a que trop imprimé.

Quant à la poetique, on l'étudioit fi mal que je ne daigne presque en faire mention. On fe contentoit d'apprendre la mefure des vers la

tins, & la quantité de fyllabes, quoi qu'imparfaitement, & on croyoit faire un poëme en racontant de fuite une hiftoire d'un ftyle auffi plat & d'un latin auffi barbaré que l'on aurcit fait en profe: excepté que la contrainte des vers faifoit chercher des expreffions forcées & ajoûter des chevilles. Voyez la vie de la comteffe Mathilde écrite par Domnizon. Il eft vrai que Gunther dans fon Ligurinus & Guillaume le Breton dans fa Philippide s'élevent un peu davantage & tournent mieux leurs penfées, mais ce n'eft gueres que par des frafes empruntées toutes entieres des anciens. Nous ne laiffons pas d'avoir obligation à ces mauvais poëtes de nous avoir confervé la tradition des fyllabes longues ou breves, & de la conftruction des vers latins. Au refte on ne voit aucun agrément dans les ouvrages ferieux de ce tems-là; & les auteurs n'avoient aucun goût pour l'imitation de la belle nature qui eft l'ame de la poësie.

Mais ils en avoient beaucoup pour les fictions & les fables, en celi femblables aux enfans qui font plus touchez du merveilleux que du vrai. De-là vient qu'ils étudioient fi mal l'hiftoire, même de leur pays. Ils recevoient tout ce qu'ils trouvoient écrit, fans critique, fans difcernement: fans examiner l'âge & l'autorité des écrivains: tout leur étoit bon. Ainfi la fable de Francus fils d'Hector & des Francs venus des Troyens a été embraffée par tous nos hiftoriens, jufques vers la fin du feiziéme siècle : ainfi on a fait remonter l'hiftoire d'Efpagne jufques à Japhet, celle de la grande Bretagne jufques à Brutus, celle d'Ecoffe à Fergus, & plufieurs autres de même. Chaque hiftorien entreprenoit une hiftoire generale depuis la creation du monde jufques à fon tems, & y entafloit fans choix tout ce qu'il trouvoit dans les livres qu'il avoit en main. Tels étoient encore Vincent de Beauvais & faint Antonin de Florence: dont les hiftoires font utiles pour leur tems, où elles font originales : quant aux tems précedens elles ne fervent gueres qu'à nous apprendre les fables qu'on en racontoit ferieufement. Encore ces hiftoires univerfelles ne regardent gueres que l'Europe; & on y perd de vûë l'Orient depuis le commencement du huitième siècle où finit la chronique d'Anaftafe le bibliothecaire.

La geographie n'étoit pas mieux cultivée que l'hiftoire avec laquelle elle a tant de liaison. On ne l'étudioit que dans les livres des anciens, comme le monde n'eût point changé depuis le tems de Pline & de Ptolomée; & on vouloit trouver en Palestine & dans tout l'Orient les lieux nommez dans les faintes écritures. On y cherchoit encore une Babylone ruinée depuis tant de fiécles, & on donnoit ce nom tantôt à Bagdad, tantôt au grand Caire villes nouvelles l'une & l'autre. La feule convenance du fon faifoit dire fans raifon Aleph pour Alep, Caïphas pour Hiffa & Corofain pour la Corofane. On ne s'avifoit point de confulter les habitans du pays, pour fçavoir les vrais noms des lieux & leur veritable fituation; & cela dans des pays où l'on faifoit la guerre, pour laquelle on a befoin non-feulement de la geographie mais de la topographie la plus exacte. Auffi-avez-vous combien de fois les armées des croifez périrentpour s'être engagées fur la foi de mauvais guides dans des montagnes, des déferts, ou d'autres pays impraticables.

VII.

Hiftoire.

VIII.

Logique.

Euthyd. Protag.
Metalog.lib. 1.

c. 7.

C. l. 111.6.1. 2.

L. v. c. 3. 11. c. 8. 18.

On dira, les humanitez étoient négligées à caufe de la rareté des livres, & que les efprits étoient tournez aux fciences du pur raifonnement. Voyons donc comment on étudioit la philofophie & commençons par la Logique.Ce n'étoit plus comme elle étoit dans fon inftitution l'art de raifonner jufte & de chercher la verité par les voyes les plus fûres: c'étoit une exercice de difputer & de fubtilifer à l'infini. Le but de ceux qui l'enfeignoient étoit moins d'inftruire leurs difciples que de fe faire admirer d'eux & d'embaraffer leurs adverfaires par des queftions capticufes à peu près comme ces anciens Sophiftes dont Platon se jouë fi agréablement. Jean de Salisbery qui vivoit au douzième fiécle fe plaint que quelques-uns paffoient leur vie à étudier la Logique ; & la faifoient entrer tout entiere dans le traité des univerfaux, qui n'en devoit être qu'un petit préliminaire: d'autres confondoient les categories traitant dès l'entrée à l'occafion de la fubftance toutes les queftions qui regardent les neuf autres. Ils chicanoient fans fin fur les mots & fur la valeur des négations multipliées : ils ne parloient qu'en termes de l'art, & ne croyoient pas avoir bien fait un argument s'ils ne l'avoient nommé argument. Ils vouloient traiter toutes les queftions imaginables & toûjours rencherir fur ceux qui les avoient précedez. Tel eft le témoide cet auteur. gnage

Il eft appuyé par les exemples des anciens docteurs dont les écrits font dans toutes les bibliotheques, quoique peu de gens les lifent.Prenez le premier volume d'Albert le grand, tout gros qu'il eft, vous verrez qu'il ne contient que la Logique: d'où fans examiner davantage vous pouvez conclure que l'auteur y a mêlé bien des matieres étrangeres, puis qu'Ariftote qui a pouffé jufqu'aux dernieres précisions, ce qui eft veritablement de cet art, n'en a fait qu'un petit volume. Je vais plus loin. Cette Logique fi étendue prouve qu'Albert lui-même n'étoit pas bon logicien & qu'il ne raifonnoit pas jufte. Car il devoit confiderer que la Logique n'eft que l'introduction à la philofophie & l'inftrument des fciences: & que la vie de l'homme eft courte, principalement étant réduite au tems utile pour étudier. Or que diriez-vous d'un curieux, qui ayant trois heures pour vifiter un magnifique palais, en pafferoit une dans le veftibule: ou d'un ouvrier qui ayant une feule journée pour travailler, en employeroit le tiers à préparer & orner fes inftrumens?

Il me femble qu'Albert devoit encore fe dire à lui-même: Convient→ il à un religieux, à un prêtre, de paffer fa vie à étudier Ariftote & fes commentateurs Arabes? Dequoi fert à un theologien cette étude fi étendue de la Physique generale & particuliere: du cours des aftres & de leurs influences, de la ftructure de l'univers, des meteores, des mineraux, des pierres & de leurs vertus? N'eft-ce pas autant de tems que je dérobe à l'étude de l'écriture fainte, de l'hiftoire de l'églife & des canons? & après tant d'occupations, combien me reftera-t-il de loifir pour la priere & pour la prédication, qui eft i'effentiel de mon inftitut? Les fideles qui me font fubfifter de leurs aumônes, ne fuppofent-ils pas que je fuis occupé à des études très-utiles, qui ne me laiffent pas de tems pour travailler de mes mains. J'en dirois autant à Alexandre de

Halés:

Halés, à Scot & aux autres ; & il me femble
que pour des gens qui fai-
foient profeffion de tendre à la perfection Chrétienne, c'étoit mal rai-
fonner que de donner tant de tems à des études étrangeres à la religion,
quand elles euffent éte bonnes & folides en elles-mêmes.

Mais il s'en falloit beaucoup qu'elles le fuffent. La phyfique generale n'étoit prefque qu'un langage dont on étoit convenu, pour exprimer en termes fcientifiques, ce que tout le monde fçait; & la phyfique particuliere rouloit pour la plupart fur des fables & de fauffes fuppofitions. Car on ne confultoit point ni l'experience ni la nature en elle-même : on ne la cherchoit que dans les livres d'Ariftote & des autres anciens. En quoi l'on voit encore le mauvais raifonnement de ces docteurs: car pour étudier ainfi il falloit mettre pour principe qu'Ariftote étoit infaillible & qu'il n'y avoit rien que de vrai dans fes écrits ; & par où s'en étoientils affûrez?. étoit-ce par l'évidence de la chofe: ou par un ferieux examen? C'étoit le défaut general de toutes leurs études, de se borner à un certain livre au-delà duquel on ne cherchoit rien en chaque matiere. Toute la theologie devoit être dans le maître des fentences, tout le droit canonique dans Gratien, toute l'intelligence de l'écriture dans la glose ordinaire : il n'étoit queftion que de bien fçavoir ces livres & en appliquer la doctrine aux fujets particuliers. On ne s'avifoit point de chercher où Gratien avoit pris toutes ces pieces qui compofent fon recuëil & quelle autorité elles avoient par elles-mêmes. Ce que c'étoit que ces decretales des premiers papes, qu'il rapporte fi frequemment; fi ce qu'il cite fous le nom de faint Jerôme ou de S. Auguftin, eft effectivement d'eux: ce qui précede & ce qui fuit ces paffages dans les ouvrages dont ils font tirez. Ces difcuffions paroiffoient inutiles ou impoffibles ; & c'eft en quoi je dis que le raifonnement de nos docteurs étoit court & leur logique défectueufe: car pour raifonner folidement il faut toûjours approfondir fans fe rebuter, jufques à ce que l'on trouve un principe évident lumiere naturelle ou fondé fur une autorité infaillible.

par

la

Ce feroit le moyen de faire des démonftrations & parvenir à la veritable science: mais c'eft ce qu'on n'entréprenoit gueres felon le témoignage de Jean de Sarisberi. Il releve extrêmement l'ufage des Topiques d'Ariftote & la science des veritez probables: prétendant qu'il y en a peu de certaines & néceffaires qui nous foient connues. Auffi avoue-t'il que la geometrie étoit peu étudiée en Europe. Voilà fi je ne me trompe d'où vient que dans nos anciens docteurs nous trouvons fi peu de démonftrations & tant d'opinions & de doutes. Le maître des fentences tout le premier eft plein de ces expreffions: Il femble: il eft vrai - femblable: on peut dire. Et toutefois il devoit être plus décifif qu'un autre, puisqu'il avoit entrepris de concilier les fentimens des peres oppofez en apparence. Je conviens que l'on peut quelquefois propofer modeftement les veritez les mieux établies, comme faifoit Socrate: cet adouciffement dans les paroles ne fait que fortifier la démonftration. Je conviens encore qu'il eft de la bonne foi de ne pas affirmer ce qu'on ne fçait point; mais je foûtiens qu'on n'inftruit pas des écoliers en leur propofant des doutes, & formant en eux des opinions qui ne les rendent point fça

Tome XVII.

b

Metal 111.c. 6è c. 11. 6. 13.

v. 6.

IX.

Morale,

peut

vans. Ne vaudroit-il pas mieux ne point traiter les queftions qu'on ne réfoudre; & fi un écolier les propofe, lui apprendre à borner fa curiofité indifcrete, & à dire quand il le faut: Je n'en fçai rien. On doit fe taire fur les matieres où l'on ne trouve point de principes pour raifonner. On ne doit point non plus propofer d'objections qui ne foient folides & ferieufes. On ne peut en faire de telles contre les principes, ou les veritez démontrees : en propofer furtoutes les queftions, c'eft faire imaginer qu'elles font toutes problematiques. Pour bien faire il ne faudroit mettre en queftion que ce qui peut effectivement être révoqué en doute par un homme de bon fens.

Car celui qui ne fçait que douter ne fçait rien, & n'eft rien moins qu'un philofophe. Les opinions font le partage des hommes vulgaires : & c'est ce qui les rend incertains & legers dans leur créance & dans leur conduite, fe laiffant ébloüir par la moindre lueur de verité: ou bien ils demeurent opiniâtres dans une erreur, faute de fentir la force des raifons contraires. La vraie philofophie nous apprend à faire attention aux principes évidens, en tirer des confequences legitimes, & demeurer inébran Lables dans ce que nous avons une fois reconnu vrai. L'étude qui accoûtume à douter eft pire que la fimple ignorance: puifqu'elle fait croire ou que l'on fçait quelque chofe quoi qu'on ne fçache rien ou que l'on ne peut rien fçavoir, qui eft Pyrronifine, c'eft-à-dire, la pire difpofition de toutes, puifqu'elle éloigne même de chercher la verité.

Le plus mauvais effet de la methode topique & du defefpoir de trouver des veritez certaines, eft d'avoir introduit & autorifé dans la morale des opinions probables. Auffi cette partie de la philofophie n'a-t-elle pas été mieux traitée dans nos écoles que les autres. Nos docteurs accoûtumez à tout contester & à relever toutes les vrai-femblances, n'ont pas manqué d'en trouver dans la matiere des mœurs; & l'interêt de flater leurs paffions ou celles des autres les a fouvent écartez du droit chemin. C'eft la fource du relâchement fi fenfible dans les cafuiftes plus nouveaux, mais dont je trouve la commencement dès le treiziéme fiécle.. Ces docteurs fe contentoient d'un certain calcul de propofitions, dont le réfultat ne s'accordoit pas toûjours avec le bon fens ou avec l'évangile: mais ils concilioient tout par la fubtilité de leurs diftinctions. Je trouve un grand rapport entre ces chicanes & celles des Rabbins du même tems.

Les principes de morale ne font pas tous auffi évidens que ceux de géometrie, & le jugement y eft fouvent alteré par les paffions: au lieu que perfonne ne s'intereffe à courber une ligne droite, ou à diminuer un angle obtus. Mais la morale ne laiffe pas d'avoir fes principes certains autant à proportion que la géometrie; & ce feroit une erreur pernicieufe de la eroire uniquement fondée fur des loix d'inftitution humaine & arbitraire. La raifon dit à tous les hommes qui veulent l'écouter qu'ils ne fe font pas faits eux-mêmes ni ce monde qui les environne, & qu'il y a un être fouverain à qui ils doivent tout ce qu'ils font. Elle leur dit qu'étant tous égaux naturellement ils doivent s'aimer, fe défirer & fe procurer réciproquement tout le bien qu'ils peuvent: fe dire la verité, tenir leurspromeffes &obferver leurs con

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