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ENFI

SATIRE X.

INFIN bornant le cours de tes galanteries,

Alcippe, il eft donc vrai, dans peu tu te maries,
Sur l'argent, c'est tout dire, on eft déja d'accord.
Ton Beaupere futur vuide fon coffre fort:

s Et déja le Notaire a, d'un ftyle énergique,
Griffonné de ton joug l'Inftrument authentique.
C'est bien fait. Il eft temps de fixer tes defirs.
Ainfi que fes chagrins l'Hymen a fes plaifirs.

L'Auteur avoit formé le deffein

de faire une Satire contre les Femmes, long-temps avant que de l'exécuter. Ses occupations Poëtiques avoient été interrompues par le glorieux emploi d'Hiftoriographe du Roi. Il fe rengagea dans la Poëfie, pour venger l'honneur des Anciens,que Mr. PERRAULT avoit outrages dans un petit Poëme, intitulé, le Siecle de Louis le Grand, & dans fes Dialogues fur le Parallèle des Anciens & des Modernes.

Notre Auteur fit d'abord une Ode à la maniere de Pindare, pour juftifier ce Poëte du faux jugement que Mr. Perrault avoit porté contre lui en particulier. Mr. Despreaux luimême fut maltraité dans la fuite des mêmes Dialogues; mais il ne voulut pas répondre à fon Adverfaire par un Ouvrage exprès: étant convaincu, difoit-il, que les Ecrits qui ne roulent que fur des difputes particulieres ou perfonnelles, ne font pas de longue durée; & qu'au tant qu'on le peut, il faut choifir des fujets généraux pour plaire au Public, & fur-tout pour aller à la Poftérité.

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Ce fut à cette occafion qu'il reprit fon premier deffein, & qu'il compofa cette Satire dixieme, dans laquelle il fe contenta de toucher, en paffant, les Dialogues de Mr. Perrault contre les Anciens, comme on le verra dans la fuite. Elle fut achevée en 1693. & publiée l'année fuivante.

VERS 1. Enfin bornant le cours de tes galanteries, &c.) Mr. RACINE n'étoit pas content de ces deux vers la conftruction ne lui en paroiffoit pas affez nette. Il le Chanoine de Rheims, leur Ami manda à Mr. de MAUCROIX, commun, & Mr. de Maucroix les tourna de cette maniere :

Alcippe, il eft donc vrai, qu'enfin l'on te marie,

Et que tu prends congé de la galan

terie.

Mais Mr. Despreaux ne s'en accommoda point, les ayant trouvés foibles & profaiques. Alcippe eft un Personnage inventé.

VERS 6. L'inftrument authentique.] Inftrument, en ftyle de

* Parallèle des Anciens & des Modernes. Dial. I. p. 27. & fuiv. Tome I.

K

Quelle joie en effet, quelle douceur extrême!
10 De se voir careffé d'une Époufe qu'on aime:
De s'entendre appeller petit Cœur, ou mon Bon;
De voir autour de foi croître dans fa maison,
Sous les paifibles loix d'une agréable Mere,
De petits Citoyens dont on croit être Pere!

15 Quel charme! au moindre mal qui nous vient menacer, De la voir auffi-tôt accourir, s'empreffer,

S'effrayer d'un péril qui n'a point d'apparence,

Pratique, fignifie un Contract, un
Acte public.

VERS II.
Petit Cœur, ou
mon Bon.] Madame Colbert appel-
loit ainfi fon Mari.

VERS 18. Et fouvent de douleur Je pamer par avance.) Ce caractère convient à la plupart des femmes. Cependant le Poëte a eu particulierement en vûe Madame B..... qui témoignoit des frayeurs exceffives au moindre mal dont fon mari étoit menacé; elle fe pâmoit: il lui falloit jetter de l'eau fur le visage.

VERS 24. Charmé de Juvénal, &c.) Juvénal a fait une Satire contre les Femmes, qui eft fon plus bel Ouvrage. Cette Note eft de l'Auteur même, qui l'avoit mife à la marge de cette Satire dixieme.

VERS 26.

Qat dès le temps de Rhée, &c.] A côté de ce vers & des fix fuivans, l'Auteur avoit mis cette Note: Paroles du commence~

ment de la Satire de Juvenal. Cependant Juvénal s'exprime d'une maniere un peu différente: Oui, je veux croire, dit-il, que la Pudicité, fous le regne de Saturne, a habité sur la terre, & qu'on l'y a vue même affer long-temps; C'est-à-dire pendant l'âge d'or, qui étoit du temps de Saturne & de Rhée.

Credo Pudicitiam Saturno rege mo

ratam

In terris, vifamque diu.

§. Le Commentateur devoit avouer fans détour, que Mr. Des preaux fait dire à Juvénal tout le contraire de ce qu'il a dit. Mr. Perrault le critique là-deffus dans la Préface de fon Apologie des Femmes, imprimée en 1694. „ Il pré

tend, dit-il, qu'un certain nombre »de Vers, qu'il a fait imprimer en "autre caractere que le refte, font »une Traduction du commencement de la fixieme Satire de Juvenal; »car il met en marge que ce font les paroles du commencement de cette Satire: cependant les Vers ne "contiennent ni les paroles, ni mê»me le fens de Juvénal." Mr. Perrault rapporte enfuite le Vers de Mr. Despreaux; & y joint une Tra duction de Juvénal de fa façon, légante, mais qui eft très - fidelle. qu'il ne donne pas, dit-il, pour fort En voici un morceau,

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Et fouvent de douleur fe pâmer par avance!
Car tu ne feras point de ces Jaloux affreux,
20 Habiles à fe rendre inquiets, malheureux,
Qui, tandis qu'une Épouse à leurs yeux fe désole,
Pensent toûjours qu'un Autre en fecret la confole.

Mais quoi, je vois déja que ce difcours t'aigrit? Charmé de Juvénal, & plein de fon efprit 25 Venez-vous, diras-tu, dans une pièce outrée, Comme lui nous chanter: Que dès le temps de Rhée,

Lorfqu'un Antre fauvage éclairé

d'un faux jour,

Faifoit de nos ayeux le plus riche
fejour,

Alors de la Pudeur on put voir
quelque marque:

Méme fous Jupiter encor jeune
Monarque,

Quand les Grecs moins rufes
moins ingénieux

Kij

D'enfreindre fans refpect la foi du mariage:

Le dur Siecle de Fer, de cent crimes
divers

Non connus jufqu'alors inonda
l'Univers,
Fit voir des affaffins, des voleurs,
des fauffaires,

Mais dès l'Age d'Argent l'on vit
des Adulteres.

&,,On voit clairement par cette Tra

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„duction, ajoûte Mr. Perrault, que
,,les paroles qu'on donne pour être
,,de Juvenal n'en font point, & mê-
,,me qu'elles portent un fens con
traire à celui de ce Poëte; car ce
,,Poëte dit, que la Pudeur demeura
,,fur la Terre pendant le regne de
Saturne qui eft le même que celui
,,de Rhée, & que le Siecle d'Argent
,,vit les premiers Adulteres ; Et le
»prétendu Traducteur dit que dès
,,le temps de Rhée,

,,La Chafteté déja la rougeur fur le
front,
Avoit chez les mortels reçu plus
,,d'un affront.
DUMONTEIL.

La Chafteté déja, la rougeur fur le front,
Avoit chez les Humains reçû plus d'un affront:
Qu'on vit avec le fer naître les Injuftices,
30 L'Impiété, l'Orgueil, & tous les autres Vices;
Mais que la Bonne - Foi dans l'amour conjugal
N'alla point jufqu'au temps du troifieme Métal?

Ces mots ont dans fa bouche une emphase admirable:

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Mais je vous dirai, moi, fans alléguer la fable, 35 Que fi fous Adam même, & loin, avant Noé, Le Vice audacieux des Hommes avoué,

A la trifte Innocence en tous lieux fit la guerre, Il demeura pourtant de l'honneur fur la Terre: Qu'aux temps les plus féconds en Phrynés, en Laïs, 40 Plus d'une Penelope honora fon pays;

Et que même aujourd'hui, fur ce fameux modele, On peut trouver encor quelque Femme fidele.

Sans doute: & dans Paris, fi je fais bien compter, Il en eft jufqu'à Trois, que je pourrois citer.

VERS 39. En Phrynés, en Lais.) PHRYNE & LAIS, étoient deux fameufes Courtifannes de la Grece.

VERS 44. Il en eft jufqu'à Trois, &c.] A la rigueur on en trouveroit peut-être davantage, difoit l'Auteur en plaifantant.

VERS 52. Trouva... Tu fais...) Tout le monde fait l'Hiftoire de Joconde mife en vers par le célèbre La Fontaine; mais tout le monde ne fait pas que la Differtation fur Joconde, imprimée parmi les Contes de cet Auteur, eft de Mr. Des

preaux. BOUILLON, * méchant Poëte, avoit auffi mis en vers François la même Aventure de Joconde, tirée de l'ARIOSTE. Il y eut une gageure confidérable fur la preférence de ces ouvrages, entre l'Abbé LE VAYER, & un nommé ST. GILLES, Homme d'un caractère fort particulier. Ils s'en rapporterent à MOLIERE, qui ne voulut pas dire fon fentiment de peur de faire perdre la gageure à St. Gilles; mais Mr. Despreaux décida le différend par cette Differtation. Il étoit fort jeune alors, & dans la

Il mourut en 1662. & fes Poëfies furent imprimées en 1663.

45 Ton Épouse dans peu fera la quatrieme.

Je le veux croire ainfi. Mais la Chafteté même, Sous ce beau nom d'Époufe, entrât-elle chez toi:

De retour d'un voyage en arrivant, crois-moi,

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Fais toujours du logis avertir la Maîtreffe.

50 Tel partit tout baigné des pleurs de fa Lucrece; Qui, faute d'avoir pris ce foin judicieux,

Trouva.... Tu fais.... Je fais que d'un conte odieux Vous avez comme moi fali votre mémoire. Mais laiffons-là, dis-tu, Joconde & fon Hiftoire. 55 Du projet d'un Hymen déja fort avancé,

Devant vous aujourd'hui criminel dénoncé,

Et mis fur la fellette aux pieds de la Critique, Je vois bien tout de bon qu'il faut que je m'explique. Jeune autrefois par vous dans le monde conduit, 60 J'ai trop bien profité, pour n'être pas inftruit A quels difcours malins le Mariage expose. Je fais, que c'eft un texte où chacun fait fa glose: Kiij

fuite il témoignoit à fes Amis un grand regret d'avoir employé fa plume à défendre un Ouvrage du

caractère de Joconde.

§. On trouvera dans le fecond Tome la Differtation de Mr. Despreaux: précédée de la Joconde de la Fontaine, & de celle de Bouillon. Au refte, le Commentateur dit, non feulement ici, mais encore dans une Note fur cette Disfertation que l'Abbé le Vayer & Mr. de St. Gilles ayant fait une gaconfidérable fur la préférence ces deux Ouvrages, s'en rapporterent à Moliere, qui ne voulut pas dire fon fentiment: cependant il pa

geure

roît par la Differtation même, que ces Meffieurs avoient choifi trois perfonnes pour Juges. Penfe-t-il donc, dit Mr. Despreaux parlant de Mr. de St. Gilles, que trois des plus Galans Hommes de France, aillent de gayeté de cœur fe perdre d'eftime dans l'efprit des habiles gens pour lui faire gagner cent piftoles? Et depuis Midas, d'impertinente mémoire, s'eft-il trouvé perfonne qui ait rendu un jugement plus abfurde que celui qu'il attend d'eux? DU MONTEIL.

VERS 59. Jeune autrefois par vous &c.] Ce vers & le fuivant n'étoient pas ainfi. Mr. le Prince de Conti, à qui l'Auteur récita cette

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