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V.

Quand la fauffeté n'en eft pas évidente, ils ne laiflent pas d'être mauvais, s'ils font témeraires & fondés fur des raifons foibles & fur des fignes incertains. Et c'eftpourquoi les Saints qui nous recommandent de ne juger jamais perfonne fur des fignes incertains, nous le recommandent encore davantage à l'égard des Superieurs & de tous ceux que l'on doit honorer felon l'ordre de Dieu. Il eft jufte d'interpreter favorablement leurs actions & leurs paroles, lorfqu'on le peut faire fans blefler la verité, & d'apporter une plus grande attention avant que de les condanner.

VI.

Les jugemens que l'on forme d'eux, ne font pas toujours exemts de faute, lors même qu'ils font très-veritables, & il s'y peut encore rencontrer divers défauts. Le premier eft quand nous nous appliquons à juger des chofes qui ne nous regardent point, & que nous pouvons bien nous empêcher de confiderer, parcequ'elles ne font pas fi visibles ni fi claires, qu'elles n'ayent befoin de quelque recherche: Car en ces rencon tres fuppofé que notre vocation, notre,

emploi, & l'état où Dieu nous a mis, ne demande point de nous que nous nous appliquions à examiner ces points de la conduire ou des fentimens des Superieurs, & de ceux qui font au-deffus de nous, il y a fans doute de la faute à le faire, parcequ'il y a du déreglement à s'appliquer à des chofes qui nous peuvent pure & qui ne nous peuvent fervir. Ainfi quand un Religieux jugeroit fort bien de fon Superieur, il ne laifleroit pas d'être blamable, s'il s'étoit appliqué inutilement & fans neceffité à examiner fes actions, parcequ'il s'eft expofé par là volontairement à une tentation, étant certain que les jugemens défavantageux, quoique veritables, que l'on forme d'un Superieur, diminuent l'impreffion que fes paroles doivent faire fur les inferieurs, les paroles ayant befoin d'être aidées par ne eftime même humaine, qui fert à étouffer l'oppofition que la concupifcence forme contre les commandemens juftes & legitimes,

Chacun doit fe confiderer comme infirme, & comme ayant besoin d'être soutenu par divers appuis dans la voie de l'humilité & de l'obéiffance; & ainsi c'est une imprudence d'occuper fon efprit à des objets dangereux & capables de nous faire tomber dans l'orgueil & dans le mé-, pris fecret des Superieurs.

VIL

Le fecond défaut eft une trop grande attache à fes jugemens, quoique veritables. Car il eft certain que comme on ne doit point juger fans lumiere, on ne doit point auffi s'attacher à son jugement qu'à proportion de fa lumiere; de forte que li l'on ne voit une verité que d'une vue fombre & obfcure, & fi l'on a l'experience que l'on fe trompe & que l'on s'éblouit facilement, il eft contre la raison de s'attacher à fon jugement avec la même aflurance que fi l'on avoit une vûe claire de la verité, & il ne faut pas feulement garder de cette retenue,quand on parle aux autres, mais il la faut auffi garder quand on se parle à soi-même, la connoillance de notre ignorance & de notre foibleffe devant nous rendre modeftes & retenus dans nos jugemens, & nous empêcher de nous parler à nousmêmes avec la fermeté & l'assurance de ceux qui ont plus de droit de croire qu'ils ne fe trompent pas.

VIIL

Il eft peu utile d'examiner fi ces défauts qui fe peuvent glifler dans les jugemens que l'on fait des Superieurs, font contraires au refpect qu'on leur doit, ou

à quelque autre vertu, il fuffit qu'ils foient mauvais & desagréables à Dieu pour nous porter à les éviter. La verité est néanmoins, que comme ils peuvent être accompagnés de défaut de respect, ils en peuvent auffi être feparés & naître

d'autres fources.

Car le respect confifte interieurement dans la connoiflance de l'ordre de Dieu, qui place certaines perfonnes au-deffus des autres, & dans les mouvemens de la volonté qui approuve cet ordre, & qui s'y foumet volontairement, aimant à se tenir en fa place; & il confifte exterieurement dans les témoignages exterieurs qui font voir que l'on reconnoît & que l'on approuve cet ordre.

Ainfi on viole interieurement le refpect en ne reconnoiffant pas, & en n'aimant pas cette dépendance & cette fubordination établie de Dieu: & on le viole exterieurement par les fignes exterieurs d'élevation & d'orgueil qui nous font fortir de notre rang, & qui abaiffent audeffous de nous ceux que Dieu a mis au deflus.

Toutes les marques d'aigreur, de mépris, de colere, font contraires auffi au refpect, parceque ce font des paffions qui attaquent cet ordre, & qui tendent à l'aneantir en rabaiffant ceux conTome V1B

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tre qui elles font excitées.
Mais il n'eft pas neceffaire que ces dé
fauts fe trouvent dans tous les jugemen
que l'on fait des Superieurs. On
peu
quelquefois fe tromper en jugeant d'ew
par un fumple défaut de lumiere. On peu
les foupçonner de quelque faute, même
témerairement, par une legereté d'efprit,
qui ne confidere pas affez les fondemens,
fur lefquels ces jugemens font appuyés,
On peut s'appliquer inutilement à confi-
derer leurs actions par une fimple curio-
fité, ou par inadvertance. Enfin on peut
s'attacher trop à fes jugemens par foiblef-
fe d'efprit, en croyant évident ce qui ne
l'eft pas, fans pour cela s'eftimer foi-mê-
me, ni s'élever au-deffus de fon rang. II
ya des perfonnes fort humbles qui s'i-
maginent trop fortement qu'elles voyent
évidemment des chofes très-fauffes.

Ainfi les accufations d'orgueil & de manque de refpect envers les Superieurs, qui ne feroient fondées que fur ces fortes de jugemens que l'on auroit fait d'eux, ne feroient pas affez équitables; & fur tout quand le jugement eft veritable en foi, il eft difficile de juger abfolument qu'une perfonne ait eu tort de s'appli quer à un jugement veritable, ou qu'elle y foit trop attachée.

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