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de leurs projets; croira-t'on dis-je que ces Oracles euffent duré fi long-temps, & fe fuffent foutenus avec tant d'éclat & de reputation, s'ils n'avoient été que l'effet de la fourberie des Prêtres? l'impofture fe dement, le menfonge ne fe foutient pas. D'ailleurs il y avoit trop de temoins, trop de curieux, trop de gens intereffés à ne point fe laiffer feduire. On trompe pendant un temps un temps des particuliers trop credules, mais nullement des Peuples entiers pendant plufieurs fiécles. Quelques Princes amufés par des équivoques, quelque rufe decouverte, quelque libertin trop curieux, cela fuffifoit de refte pour decouvrir le myftere, & faire tomber tout d'un coup le credit de l'Oracle. Combien de gens trompés par des reponfes odieuses, avoient interêt de penetrer fi c'étoient les Prêtres eux-mêmes qui les feduifoient. Mais quoi! aucun de ces mêmes Prêtres, attirés par les promeffes & les liberalités effectives de ceux qui n'oublierent rien pour s'éclaircir à fond fur un fujet fi intereffant, ne trahit la caufe de fes confreres ? Mais il n'y avoit donc point de gens mercenaires en ce tempslà: l'or & les dignités n'étoient donc plus des appas feduifans. Les Prêtres d'un Oracle moins accredité ou entierement déchu, ne reveloient donc pas, ou par defefpoir, ou par vengeance, les impoftures de ceux qui leur enlevoient tout leur gain: eux qui en pratiquant de femblables fourberies, pouvoient bien fe douter du moins de celles des autres. Quel eft donc ce concert, inconnu jufqu'à prefent, qui tient contre l'interêt, contre la reputation : qui réunit tant de fourbes dans un fecret fi religieufement obfervé? A ces reflexions le Pere Balthus en ajoute une autre, tirée des Sacrifices humains que les Oracles demandoient; puifque l'homme, dit-il, quelque maîtrisé qu'il foit par fes paffions, n'auroit jamais exigé de femblables victimes.

J'ai dit que tous les Dieux n'étoient pas des Dieux à Oracles; car anciennement il n'y avoit gueres que Themis, Jupiter, & Apollon qui en rendiffent ; mais dans la fuite ce privilege fut accordé à presque tous les Dieux, & à un grand nombre de Heros, comme on le verra dans la fuite.

Pour confulter l'Oracle, il falloit choifir le temps où l'on croyoit que les Dieux en rendoient; car tous les jours n'étoient

pas égaux. A Delphes, il n'y avoit d'abord qu'un mois de l'année, où la Pythie repondit à ceux qui venoient confulter Apollon. Dans la fuite, ce fut un jour de chaque mois que ce Dieu rendoit fes Oracles. Tous ces Oracles ne fe rendoient pas de la même maniere: ici c'étoit la Prêtreffe qui repondoit pour le Dieu que l'on confultoit; là c'étoit le Dieu lui-même qui rendoit l'Oracle: dans un autre endroit, on recevoit la reponfe du Dieu pendant le fommeil, & ce fommeil même étoit préparé par des difpofitions particulieres, qui avoient quelque chofe de myfterieux. Quelquefois c'étoit par des billets cachetés; dans d'autres endroits enfin, on recevoit l'Oracle en jettant des Sorts, comme à Prenefte en Italie. Il falloit quelquefois pour fe rendre digne de l'Oracle, beaucoup de préparations; des jeunes, par exemple, des Sacrifices, des Luftrations, &c. D'autres fois on cherchoit moins de façons, & le Confultant recevoit la reponfe en arrivant à l'Oracle; comme Alexandre, lorsqu'il alla dans la Libye pour confulter celui de Jupiter Ammon, puifque le Prêtre en le voyant l'appella fils de Jupiter; ce qui étoit le but de fon voyage. Mais il eft temps de paffer à l'histoire particuliere des Oracles les plus celebres : & comme ceux de Dodone & de Jupiter Ammon étoient les plus anciens, c'est par l'hiftoire de ces deux Oracles que je dois commencer.

ARTICLE PREMIER.

L'Oracle de Dodone.

Au rapport d'Herodote, l'Oracle de Dodone, le plus ancien de la Grece, & celui de Jupiter Ammon dans la Libye, ont la même origine, & doivent l'un & l'autre leur établiffement aux Egyptiens, comme toutes les autres Antiquités de la Grece. Voici l'enveloppe fous laquelle on a caché ce trait d'Hiftoire. Deux colombes, difoit-on, s'étant envolées de Thebes en Egypte, il y en eut une qui alla dans la Libye, & l'autre ayant volé jufqu'à la Forêt de Dodone dans la Chaonie, Province de l'Epire, s'y arrêta; & apprit aux habitans du pays, que l'intention de Jupiter étoit qu'il y eût un Oracle en ce lieu-là. Ce prodige étonna ceux qui en furent les té

moins, & l'Oracle étant établi, il y eut bien tôt un grand nombre de Confultans. Servius (1) ajoute que c'étoit Jupiter (1) In 3. Æn. qui avoit donné à fa fille Thebé ces deux colombes, & qu'el V. 468. les avoient le don de la parole. Herodote (2), qui a bien jugé (2) Liv. 1. que cette fiction renfermoit l'évenement qui donna lieu à l'établissement de cet Oracle, en a recherché le fondement hiftorique. Deux Prêtreffes de Thebes, dit cet Auteur, furent autrefois enlevées par des Marchands Pheniciens : celle qui fut vendue en Grece, établit fa demeure dans la Forêt de Dodone, où l'on alloit alors cueillir le gland qui fervoit de nourriture aux anciens Grecs, & elle fit conftruire une petite Chapelle au pied d'un chêne, en l'honneur de Jupiter, dont elle avoit été Prêtreffe à Thebes ; & ce fut là que s'établit cet ancien Oracle, fi fameux dans la fuite. Ce même Auteur ajoute, qu'on nomma cette femme, la Colombe, parce qu'on n'entendoit pas fon langage, mais comme on vint à le com prendre quelque temps après, on publia que la Colombe avoit parlé.

Souvent pour expliquer les anciennes fables, les Grecs qui n'entendoient pas la langue des Peuples de l'Orient, d'où elles leur étoient venues, en ont debité de nouvelles. Le fçavant Bochart a cru trouver l'origine de celle dont il s'agit) dans l'équivoque de deux mots Pheniciens ou Arabes, dont l'un fignifie colombe, & l'autre, Prêtreffe. Les Grecs toujours portés au merveilleux, au lieu de dire qu'une Prêtreffe de Jupiter avoit declaré la volonté de ce Dieu, dirent que c'étoit une colombe qui avoit parlé. Quelque vrai-femblable que foit la conjecture de ce fçavant homme, M. l'Abbé Sallier en a propofé une qui paroît l'être davantage (a), & il prétend que cette fable eft fondée fur la double fignification du mot WEλEIN, lequel fignifioit des colombes dans l'Attique & dans plufieurs autres Provinces de la Grece, pendant que dans la Dialecte de l'Epire, il vouloit dire de vieilles femmes. Servius, qui avoit bien compris le fens de cette fable, ne s'eft trompé en l'expliquant, que parce qu'il a changé le nom appellatif de Peleias, en un nom propre. »Il y avoit, dit-il, dans la Forêt de Dodone une fontaine qui couloit avec un doux mur (a) Voyez les Memoires de l'Academie des Belles-Lettres T. 5. p. 35.

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» mure au pied d'un chêne : une vieille femme nommée Pelias interprétoit ce bruit, & annonçoit fur ce murmure » l'avenir, à ceux qui venoient la consulter (a) ».

C'est par la double fignification du même mot, qu'on doit (1) Liv. 1. repondre à la queftion que Ptolomée Epheftion (1) dit qu'Alexandre propofa à fon maître Ariftote : pourquoi il étoit dit dans Homere que des weλa fourniffoient l'Ambrosie à Jupiter; car ce Philofophe auroit fatisfait à cette queftion, en difant que, par ce mot, le Poëte avoit voulu parler, non pas des colombes, mais des Prêtreffes de ce Dieu, qui préparoient les mets des Sacrifices qu'on lui offroit.

Anciennement l'Oracle de Dodone fe rendit fur le murmure de la fontaine dont je viens de parler, mais il paroît que dans la fuite on y chercha plus de façons ; & voici l'artifice dont on s'avifa. On avoit fufpendu en l'air (6) quelques chaudrons de cuivre, auprès d'une Statue de même metal aussi fufpendue, & qui tenoit un foüet à la main. Le vent venant à ébranler cette figure, elle frappoit le chaudron qui étoit le plus proche & le mettoit en mouvement; tous les autres étoient ébranlés & rendoient un fon qui duroit affez longtemps; & c'étoit fur ce bruit qu'on annonçoit l'avenir. C'est de la même que la Forêt de Dodone avoit pris fon nom, car là Dodo, en hebreu, veut dire un chaudron. Que fi on me demande pourquoi on publioit que c'étoient les chênes de ce Bois qui rendoient eux-mêmes les Oracles; je repondrai que ce qui a donné lieu à cette fable, c'est que les Miniftres de cet Oracle fe tenoient cachés dans le creux des chênes, lorfqu'ils rendoient leurs réponses. C'eft encore, pour le dire en paffant, de ces chênes parlants que tire fon origine la fable de la Poutre de la Navire d'Argo, coupée dans la Forêt de Dodone, laquelle, fuivant Onomacrite, Apollonius de Rhodes, & Valerius Flaccus, rendoit des Oracles aux Argonautes, comme on le verra dans l'hiftoire de l'expedition (2) Tome. 3. de ces Heros (2).

(a) Que murmura anus, nomine Pelias, interpretata hominibus differebat. Servius in 3. En. v. 466.

(b) Suidas fur l'autorité de Strabon, ou plûtôt celui qui en a fait l'Epitome, en cet endroit, qui manque dans l'original

Expliquées par l'Hiftoire. Liv. III. CHAP. I.

Dodone.

309 Suidas (1) parlant des chênes de cette Forêt, dit qu'ils par- (1) au mot loient, & repondoient aux confultans, Jupiter dit ceci, &c. Van-Dale dans fon Hiftoire des Oracles (2), après avoir reaprès avoir re- (2) 201. & marqué que Suidas n'a fait que copier Euftathe, rapporte le fuiv. fentiment d'Ariftote & de plufieurs autres Auteurs, & ne manque pas d'observer combien il y a de varieté dans ce que les Anciens difent de cet Oracle : varieté qu'on doit attribuer fans doute au foin qu'on prenoit de n'en pas laiffer approcher de trop près, ceux qui venoient le confulter, & qui entendoient bien un certain bruit, mais fans pouvoir deviner au jufte ce qui le caufoit.

Quoiqu'il en foit, lorfque le fon des chaudrons étoit fini, des femmes qu'on nommoit Dodonides, rendoient leurs Oracles (a), ou en vers, comme il paroît par le Recueil qui en a été fait; ou par les Sorts, comme femble le croire Ĉiceron dans fes Livres de la Divination.

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Ce que j'ai rapporté d'Herodote au commencement de l'Article précedent, prouve que l'Oracle de Jupiter Ammon dans la Libye, étoit auffi ancien que celui de Dodone, dont on vient de voir l'hiftoire. Il devint auffi très-celebre, & on venoit le confulter de toutes parts, malgré les incommodités d'un fi long voyage, & les fables brûlans de la Libye, qu'il falloit traverfer. On ne fçait pas trop que penfer de la fidelité des Prêtres qui le fervoient. Quelquefois ils étoient incorruptibles, comme il paroît par l'accufation qu'ils vinrent former à Sparte, contre Lyfander qui avoit voulu les corrompre, dans la grande affaire qu'il méditoit pour changer l'ordre de la fucceffion Royale ; quelquefois il n'étoient pas fi difficiles, comme il paroît par l'hiftoire d'Alexandre, lequel pour mettre à couvert la reputation de fa mere, ou par pure vanité, vouloit paffer pour fils de Jupiter; puifque le Prêtre de ce Dieu, ainsi qu'on l'a dit, alla au-devant de lui, & le falua comme fils du Maître des Dieux..

(4) Voyez Plutarque fur les Oracles qui ont ceffè..

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