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ECCLESIASTIQUE

Par M. FLEURY, Prêtre, Prieur d'Argenteuil,
& Confeffeur du Roi.

TOME DIX-HUITIEME

Depuis l'an 1260. jusques à l'an 1300.

Revû, & corrigé par l'Auteur.

2. A PARIS,

P. G. LE MERCIER, rue S. Jacques, au Livre d'Or.

DESAINT & SAILLANT, rue S. Jean de Beauvais.

Chez JEAN-THOMAS HERISSANT, rue S. Jacques, à S. Paul, & à S. Hilaire.
DURAND, rue S. Jacques, au Griffon.

LE PRIEUR, rue S. Jacques, à la Croix d'Or.

M. DCC. LI.

Avec Approbation & Privilége du Roy.

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I.

Origine des Croisades.

Hift, liv. XI. n.

Es Croisades font une partie confidérable de l'histoire de l'églife pendant le douziéme & le treiziéme fiécle, & font une des principales fources du changement de la difcipline: vous en avez vû la fin; confidérons auffi leur commencement & leur progrès. L'origine des Crcifades fu- 32. rent les pelerinages à la terre fainte, devenus fréquens depuis le regne de Conftantin, après que la croix fut trouvée, & les lieux faints rétablis. On y venoit de toute la chrétienté bornée 3. difc. n. 5. prefque à l'empire Romain, dont la grande étendue rendoit le voyage facile, même de Gaule, d'Espagne, & des autres provinces les plus reculées, & cette liberté continua pendant trois cens ans, nonobftant la chûte de l'empire d'Occident; parce que les royaumes qui fe formerent de fes débris, demeurerent chrétiens, & peuplez de Romains, quoiqu'affujettis à des barbares. Le grand changement n'arriva qu'au feptiéme fiécle par la conquête des Arabes Mufulmans feparez de nous par la religion, la langue & les murs. Toutefois comme ils laiffoient aux chrétiens leurs fujets le libre exercice de la religion, ils permettoient les pelerinages, & faifoient eux-mêmes celui de Jerufalem, qu'ils nomment la maison fainte, & l'ont en finguliere vénération.

Tome XVIII.

a ij

Les chrétiens d'Occident continuerent donc fous la domination des Mufulmans à visiter les faints lieux de la Palestine, quoiqu'avec plus de difficulté qu'auparavant ; & il nous refte quelques relations de leurs voyages; comme Hifi. liv.x11. celle d'Arculfe évêque François, écrite par Adamnan abbé Irlandois fur la fin du feptiéme fiécle. Ces pelerins voyant la fervitude fous laquelle gémifloient les chrétiens d'Orient, en faifoient fans doute à leur retour de triftes peintu

10. act. SS. Bened. tom. 4. p. 502.

ep. 31.

relevant l'indignité de voir les lieux faints au pouvoir des ennemis du nom chrétien ; & toutefois plufieurs fiécles fe pafferent avant que l'on fît aucune entreprise pour les délivrer.

Il eft vrai que les empereurs Grecs étoient prefque toujours en guerre avec les Mufulmans: mais c'étoit pour la défenfe générale de leurs frontieres; plûtôt que pour la conquête particuliere de Jerufalem. Les Goths, les François les Lombards & les autres peuples quti dominoient en Occident furent longtems occupez des guerres qu'ils avoient entre eux & contre les Grecs. Enfuite ils fe trouverent engagez à fe défendre contre les Mufulmans, qui peu de tems après leur commencement conquirent l'Espagne, se répandirent bien avant en France, & s'établirent en Sicile, d'où ils faifoient des defcentes en Italie, & jufques aux portes de Rome. On s'eftimoit bienheureux de les repoutier, loin d'aller au de-là des mers porter la guerre chez eux. Charlemagne fi pillant, fi grand guerrier, fi zelé pour la religion, n'employa fes armes contre les Sarrafins, que fur la frontiere d'Espagne, & il fongeoit fi peu à les attaquer en Orient, qu'il entretint toujours alliance & amitié avec le Calife Aaron, qui lui envoya la clef du faint fépulire, en figne de la liberté du pelerinage. Le voyage de Charlemagne à la terre fainte eft une fable inventée depuis les croifades.

Ce ne fut qu'à la fin de l'onzième fiécle que les chrétiens d'Occident s'uni rent pour former une entreprise commune contre les ennemis de la religion, & le pape Gregoire VII. homme courageux & capable de vastes deffeins, en fut le prem er auteur. Il étoit fenfib'ement tou hé des triftes relations qu'il recevoit de l'état des chretiens Orientaux opprimez par les infideles, & en particulier par les Turcs Seljouquides, qui venoient de s'établir en Afie: il Hist liv XLI. avoit ex.ité les princes d'Occident à s'armer contre eux & il étoit déja sûr de n. 14. Greg. lib.11. cinquante milic homines, à la tête defquels il prétendoit marcher, comme il le témoigne dans une lettre à l'empereur Henri. Mais des affaires plus prochaines & plus preflantes empêcherent Gregoire d'exécuter ce projet, qui le fut vingt après par Urbain !I. I y avoit eu des préludes à ces entreprites : les pelerins marchoient à a terre faite en grandes troupes, & bien aimez. Un Hift. liv. 111. exemple illuftre font les fept mille Allemans qui firent le voyage en 1064. & qui fe défen dirent fi vaillamment contre les voleurs Ar.bes. une telle caravanne étoit une petite armée, & les Croisés ne furent que des peletins aflemblez. Outre les principaux motifs d'ouvrir le chemin aux pelerinages, & de fecourir les chrétiens Orient, je ne doute pas que Gregoire & Urbain n'euflent en vûe de mettre pour toujours l'Italie à couvert des infultes des Sarr fins, & de les afforblir en Espagne, où leur puiflance en effet a toujours diminué depuis

12. 12.

n. 28.42.

fes croifades. Enfin le pape Urbain fait entrevoir dans un de fes fermons un To. x. cont.p. 515° autre motif important; c'eft d'éteindre les guerres particulieres qui regnoient D. en Occident depuis plus de deux cens ans, & qui tenoient les feigneurs con- Hift. liv. LIX: tinuellement armez les uns contre les autres. La croifade fut plus utile pour cet effet que n'avoit été la tréve de Dieu, établie par plufieurs conciles vers l'an 1040. pour fufpendre pendant certains jours de la femaine les actes d'hoftilité. La croiade tourna contre les infideles les forces que les chrétiens employoient à fe détruire eux-mêmes: elle affoiblit la nobleffe, l'engageant à des dépenfes immenfes ; & les fouverains cependant prirent le deffus, & réta blirent peu à peu leur autorité.

Je ne vois point que l'on ait mis alors en queftion, fi cette guerre étoit jufte : tous les chrétiens d'Orient & d'Occident le fuppofoient également.Toutefois la différence de religion n'eft pas une caufe fuffifante de guerre : & faint Thomas écrivant dans le treiziéme fiécle, lorfque les Croifades étoient encore fréquentes, dit qu'on ne doit pas contraindre les infideles à embraffer la foi, 2.2.q. 10. 4. 28. mais feulement que les fideles doivent, quand ils le peuvent, employer la force pour les empêcher de nuire à la religion, foit par leurs perfuafions, foit par leurs perfécutions ouvertes. Et c'eft pour cela,continue-t'il, que les chrétiens font fouvent la guerre aux infideles, non pour les contraindre à croire, mais pour les contraindre à ne pas mettre d'obftacle à la foi. Sur ce fondement les princes chrétiens ont cru de tout tems être en droit de proteger les Chrétiens étrangers opprimez par leurs fouverains. Ainfi Theodofe le jeune refufa de rendre au roi de Perfe les Chrétiens Perfans réfugiez chez les Romains, & lui déclara la guerre pour faire celler la perfécution. De ce genre fut l'occafion de la premiere Croifade: l'empereur de CP. imploroit le fecours des Latins contre la puillance formidable des Turcs Seljouquides; & les Chrétiens d'Orient le demandoient encore plus inftamment par les lettres lamentables du patriarche de Jerufalem, que Pierre l'Hermite apporta au pape Ur

bain.

Il faut auffi convenir de bonne foi que l'averfion des Chrétiens pour les Mufulmans cut grande part au deffein de la Croifade. On les regardoit comme une nation maudite, comme des ennemis déclarez de la vraie religion, fai-' fant profeffion d'établir la leur en tous lieux par la force des armes. Leurs propres fujets ne pouvoient s'accoûtumer à leur obéir. Saint Jean Damafcene vivant dans la capitale de leur empire un fiécle après leur conquête, adrefle la parole à l'empereur Leon Ifaurien, comme à fon fouverain légitime. Cinquante ans après les patriarches d'Orient dans leurs lettres au feptiéme concile général, reconnoillent de même les empereurs Grecs pour leurs maîtres, & traitent les princes Mufulmans de tyrans exécrables. Enfin les chrétiens d'Elpagne n'étoient pas encore apprivoifez avec eux au milieu du neuviéme ficcle, comme on voit dans faint Euloge de Cordoue. J'avoue que je ne reconnois plus ici le premier efprit du chriftianisme, ni cette foumiffion parfaite aux empereurs payens pendant trois cens ans de perfécution. Mais les faits ne font que trop certains, & les princes chrétiens ne traitoient pas les Mufulmans pris en guerre comme de fimples ennemis: témoin ceux que l'empereur Bafile Macédonien fit écorcher, & ceux que firent mourir les papes Leon IV. Jean VII. & Benoit VIII.

Socr. vii. hift.

c. 18.

n.

Hift. liv. xxiv.

. 29. liv. LXIV.

13.31.

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